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Tome 70 (2013) : résumés des articles

Nicolas Morard

Évolution et signification des accensements perpétuels et viagers de l'abbaye d'Humilimont (1250-1350)

On sait que les ordres monastiques adeptes du travail manuel ont dérogé dès l'origine, ou presque, à l'obligation stricte imposée par la règle d'exploiter de leurs propres mains les terres reçues, constitutives de leur patrimoine. Mais les documents analysés dans cet article révèlent en outre qu'une évolution rapide s'est dessinée, à partir des dernières années du xiiie siècle, faisant passer la tenure concédée à des tiers du statut héréditaire à redevance fixe à celui de bail à ferme — et à terme —, permettant ainsi au seigneur éminent, grâce à une hausse progressive des loyers, de tirer profit de la rente du sol, celle-ci découlant de toute évidence de l'accentuation de la pression démographique antérieure à 1350. Dans une première étape, toutefois, les terres distraites du faire-valoir direct semblent n'avoir été que périphériques, ou n'avoir jamais été intégrées dans une « grange » du couvent.

Evolution and Signification of Perpetual and Lifetime Acensement in Humilimont Abbey (1250-1350)

It is known that, almost from the beginning, the monastic orders devoted to manual labor waived the strict obligation imposed by the rule to work the land received as part of their estate with their own hands. However, the documents analyzed in this article also reveal that a rapid evolution took shape during the final years of the 13th century, in which the tenure granted to third parties went from being an inheritance subject to a usage fee to a fixed-term tenant farming agreement, thus permitting the paramount lord, through progressive rent increases, to make a profit from leasing the land, evidently as a result of the escalated demographic pressure prior to 1350. Initially, however, the lands diverted from direct farming seem to have been merely peripheral or never to have been part of a "barn" belonging to the monastery.

Philippe Didier

La généralisation de la ligesse aux XIIIe et XIVe siècles dans les terres dauphinoises

Au terme d'une évolution sociale perceptible à la fin du xiie siècle, le début du xiiie siècle connaît dans les terres appelées à former le Dauphiné une ligesse étendue aux plus humbles, qui ne semble qu'un autre nom du servage. Cette généralisation consacre sans doute une dégradation marquée de la condition des plus humbles ; elle est cependant précisément si générale qu'elle ne peut pas ne pas avoir concerné à l'occasion d'autres conditions sociales. N'introduisait-elle pas dans le servage, fût-ce bien hypocritement, avec un rituel démarqué de l'hommage noble, un principe de consensualisme ? C'est en vérité une ministérialité bien factice, qu'on faisait ainsi miroiter aux anciens serfs. Mais, sur cette lancée, elle va s'avérer compatible, singulièrement à la veille du transport de 1349, tout aussi bien avec l'affranchissement, voire avec l'anoblissement, de roturiers, agents de l'administration seigneuriale, delphinale le plus souvent, ou simples favoris.

The Propagation of Liegedom in the 13th and 14th Centuries in the Lands of the Dauphiné Province

After a perceptible social evolution at the end of the XII century, in the lands that would make up the Dauphiné province, the beginning of the XIII century saw liegedom proffered to the poorest ones, which appeared to be little more than another word for "serfdom." Its propagation no doubt reinforced the marked deterioration in the conditions of the poor; however, it was just general enough so as not to have a collateral effect on other social conditions. With its ritual modelled on noble homage, didn't it paradoxically introduce a principle of consent into serfdom? It was, in reality, a false ministerial aspect, painted in glowing colors to entice the serfs. However, upon gaining momentum, it proved to be compatible, specially on the eve of the transfer of 1349, not only with the emancipation, but also with the ennoblement of commoners, people within the seigniorial administration — most often that of the Dauphiné province — or those who were favoured.

Sylvie Le Strat-Lelong

Les châtelains domaniaux dans le comté de Bourgogne au milieu du XIVe siècle. Polyvalence ou spécialisation ?

Les prérogatives des châtelains instaurés par le pouvoir central dans le comté de Bourgogne au milieu du xive siècle sont multiples, et avant tout de nature militaire : garde du château et constitution de sa garnison, souvent réduite au minimum, mais aussi participation à des opérations ponctuelles en dehors de leurs bases et mobilisation des troupes. Ils jouissent pour cela d'un certain pouvoir de commandement, mais toujours en référence aux instances supérieures. Lors des guerres du temps d'Eudes IV, ils sont doublés dans leurs fonctions militaires par des gardiens ou des capitaines. Leurs attributions s'étendent également à la police et à la justice, locale et occasionnellement régionale, sous l'égide du bailli. Leur latitude est plus grande en ce qui concerne la gestion de la châtellenie, de son approvisionnement ou de ses travaux. Quant à leur rôle financier, il est d'importance pour le pouvoir princier : outre ses fonctions de receveur des revenus domaniaux, dont la caisse peut être sollicitée pour divers paiements, le châtelain se trouve souvent amené à avancer des fonds pris sur ses revenus personnels, améliorés par divers avantages, et par des gages, qui peuvent être assez élevés dans les zones stratégiques. Les comptes de châtellenies font d'ailleurs apparaître dans les secteurs frontaliers, dont la gestion est centralisée à Dijon sous Eudes IV, une spécialisation vers des fonctions uniquement militaires en temps de guerre.

The châtelains domaniaux in the County of Burgundy in the middle of the 14th Century - Multiple or specialised skills ?

The châtelains appointed by the central authorities of the County of Burgundy in the middle of the 14th century had numerous prerogatives and above all military ones. They were responsible for guarding the castle and providing a garrison, which was often kept to a minimum and they also took part in military operations away from their main base and had to build up troops. They had therefore command authority but should always refer to the higher authorities for any decision. When they were at war during the reign of Eudes IV, additional guards and captains were appointed to help them in their military duties. Their roles and responsibilities also included police and justice duties, on a local or regional scale, under the command of the bailiff. Their power increased when it came to running the châtellenie's supply and to managing its works. As for their financial role, it was of key importance for the princely power; for in addition to being receiver of real estate revenues, whose funds might be used to make various payments, the châtelain was often expected to advance funds from his personal income, which were increased through a variety of benefits and wages, sometimes quite important in strategic areas. In the border areas, the châtellenies'accounts, which were centralized in Dijon during the reign of Eudes IV, show anyway that they mainly specialized in military duties in time of war.

Denis Ramelet

Calvin et le prêt à intérêt : quelle rupture avec la scolastique ?

Si, dans les faits, le prêt à intérêt est petit à petit entré dans les mœurs par des brèches dans le dispositif de prohibition hérité du Moyen Âge (p. ex. les rentes non foncières), sur le plan moral, le prêt à intérêt doit sa légitimation à son voisinage avec les formes de profit admises par les scolastiques. Calvin à joué un rôle crucial à cet égard, en ne faisant plus de différence, sur le plan moral, entre le prêt à intérêt et le contrat de société. Alors que, chez Thomas d'Aquin, la frontière entre le gain légitime et le gain illégitime passe entre le contrat de société et le contrat de prêt à intérêt, chez Calvin, cette frontière passe entre le prêt de production et le prêt de consommation. Ce qui fait la différence, pour Thomas d'Aquin, c'est le type de contrat : société ou prêt à intérêt ; pour Calvin, c'est le but du prêt : production ou simple consommation. Depuis Calvin, la condamnation du prêt à intérêt (au motif que le prêt à intérêt répartit inéquitablement les profits et les risques) est discréditée, aux yeux des personnes de bon sens, par l'amalgame avec une prétendue condamnation générale du profit (de type pré-marxiste). Après bientôt un demi-millénaire, ne serait-il pas temps de mettre fin à ce malentendu ?

Calvin and Interest Loans: What Break with the Scholastics?

If, in practice, loans with interest gradually became customary due to loopholes in the prohibition mechanisms inherited from the Middle Ages (e.g. non-ground rent), on the moral plane, interest loans owe their legitimization to their kinship with the forms of profit admitted by the Scholastics. Calvin played a crucial role in this regard by making no moral distinction between an interest loan and a partnership agreement. While for Thomas Aquinas, the line separating legitimate gains from illegitimate gains was drawn between partnership agreements and interest loan agreements, for Calvin, the line was drawn between production loans and consumption loans. What marked the difference for Thomas Aquinas was the type of agreement: partnership or interest loan, while for Calvin, it was the purpose of the loan: production or simple consumption. Since Calvin, the condemnation of interest loans (for reasons of an inequitable distribution of the corresponding profit and risk) has been discredited in the eyes of sensible people due to its amalgamation with a supposed condemnation of profit in general (of the pre-Marxist type). After nearly half a millennium, isn't it about time to clear up this misunderstanding?

Fabrice Hoarau

Les problèmes politiques dans les Caractères de La Bruyère

Les questions politiques occupent une place importante dans les Caractères de La Bruyère. Le moraliste les aborde sous un angle empirique, en privilégiant l'étude de la personne du prince et de ses devoirs ; l'ouvrage ne constitue pourtant pas une apologie de la monarchie absolue, qui apparaît parfois sous sa plume comme un régime parmi d'autres. Certes, les exploits — notamment guerriers — et les succès religieux du monarque sont indirectement salués ; mais la finalité du pouvoir y semble à rebours des valeurs louis-quatorziennes : le bonheur du peuple, la modération des dépenses, la primauté des affaires intérieures, la paix ; les plus misérables sont l'objet d'une compassion exprimée avec une sincérité éloquente. Ce qui permet au moraliste de tracer les contours d'un contre-modèle institutionnel dans lequel le peuple, certes passif politiquement, devient l'unique horizon de l'action politique.

Political Problems in La Bruyère's Les Caractères

Political matters occupy an important place in the book Les Caractères by Jean de La Bruyère. The moralist approaches these issues from an empirical angle, emphasizing an examination of the character of the Prince and his duties; however, the work does not constitute an apologia for the absolute monarchy, which, under the author's pen, is sometimes portrayed as a regime among others. While an indirect nod is certainly given to the monarch's exploits (primarily wartime in nature) and religious successes, the aim of his power here seems to be at odds with Louis XIV values: the contentment of the people, the regulation of expenses, the primacy of internal affairs and peace. The most unfortunate are the object of compassion, expressed with eloquent sincerity. This enables the moralist to outline an alternative institutional model in which the people, while admittedly passive politically, become the exclusive focus of political action.

Hugues Richard

Un conflit de droit féodal en Nivernais dans les années 1780 : la donation du fief du Marais

Selon la coutume de Nivernais, le vassal devait à son seigneur le quint en cas d'aliénation du fief entre vifs (vente, échange). Mais le droit de relief ou rachat, dû par l'héritier du vassal, n'existait pas dans cette province. Que se passait-il en cas de donation du fief, mutation entre vifs mais à titre gratuit ? Selon les rédactions de la coutume de la fin du xve siècle et dans celle de 1534, rien n'est dû au seigneur si la donation est faite entre parents et sans contrepartie. Mais si elle est assortie de charges, le donataire doit payer le quint de la valeur de celles-ci. En 1779, Madeleine-Thérèse de Chéry donne son fief du Marais, situé au sud de Nevers, à son cousin Guillaume-Robert de Chéry de Montigny. Après le décès de la donatrice, en 1781, on découvre dans ses papiers des reconnaissances de dette de son cousin donataire. S'agit-il d'emprunts ou de l'achat déguisé du fief ? Ceci donne lieu d'abord à un conflit avec les héritiers maternels de la défunte, terminé par une transaction, puis à un autre avec le seigneur, le duc de Nivernais. Ces différends ont donné lieu à la rédaction de plusieurs consultations d'avocats, dont une de Guyot de Sainte-Hélène, conservées aux Archives départementales de la Nièvre, ainsi qu'à une lettre du duc de Nivernais à Guillaume-Robert de Chéry, de 1785. Le duc s'adresse à son vassal avec courtoisie, mais en défendant ses droits. Toutefois, à défaut d'une solution amiable, le seul recours que donne la coutume au seigneur est d'exiger le serment de son vassal. Mais il s'agit d'un serment décisoire.

A Conflict of Feudal Law in Nivernais in the 1780s: The Donation of Le Marais Fiefdom

According to Nivernais custom, a vassal owed his lord one fifth of the proceeds in the event that a fiefdom was alienated inter vivos (via sale, exchange, etc.) However, the right to compensation or buyout (feudal relief), due on the part the vassal's heir, did not exist in that province. What happened in the event that the fiefdom was placed in a donation — a transfer inter vivos, but free of charge? According to drafts of the custom at the end of the 15th century and in the 1534 version, nothing is due to the lord if the donation is made between relatives and without consideration. However, if it is subject to charges, the beneficiary must pay one fifth of the value of such fees. In 1779, Madeleine-Thérèse de Chéry donated her fiefdom in Le Marais, situated to the south of Nevers, to her cousin Guillaume-Robert de Chéry de Montigny. After the donor's death in 1781, among her papers were found acknowledgements of debt on the part of her donee-cousin. Was this a matter of loans or the disguised purchase of the fiefdom? This gave rise, first of all, to a conflict with the maternal heirs of the decedent, ending with one transaction and then another with the lord, the Duke of Nivernais. These disputes led to the drafting of many legal consultations on the part of lawyers, including one by Guyot de Sainte-Hélène, conserved at the departmental Archives of Nièvre, as well as a 1785 letter from the Duke of Nivernais to Guillaume-Robert de Chéry. The Duke addresses his vassal courteously, while still defending his rights. However, in the absence of an amiable solution, the lord's only legal recourse was to demand a pledge on the part of his vassal. Nevertheless, this was strictly a matter of a decisory oath.

Jean Bart

Les fortifications et les obligations des manants

« Places fortes et centre d'échange », le thème général du 21e colloque de l'Association bourguignonne des sociétés savantes invite l'historien-juriste à se pencher sur le droit de guet et garde, né de l'insécurité des temps médiévaux et du devoir seigneurial de protection des habitants de la seigneurie. Jusqu'à la fin des guerres de Religion, voire des troubles du début du xviie siècle, les rapports entre seigneurs et manants ont pu être placés sous le signe de la réciprocité ; en revanche, lorsque les opérations militaires ou leurs séquelles ont disparu de l'intérieur du royaume, le droit de guet et garde apparaît comme un ensemble de charges pesant sur les villageois, sans véritable contrepartie. À la réciprocité des obligations succède l'unilatéralité des charges. Participant à la réaction seigneuriale, la vieille institution a même connu une nouvelle vigueur à la fin de l'Ancien Régime.

Fortifications and Obligations of the Villagers

Strongholds and Centers of Trade, the general theme of the 21st Symposium of the Association bourguignonne des sociétés savantes (Burgundian Association of Learned Societies) invited the historian and legal expert to examine the right of watch and guard, born out of the dangers of medieval times and the seigniorial obligation to protect the inhabitants of the lordship. Through the end of the Wars of Religion and even during the troubles at the beginning of the 17th century, relations between lords and villagers could be characterized as reciprocal; however, once there were no longer military operations or the aftermath thereof within the kingdom, the right of watch and guard appeared to be a set of duties imposed on the villagers with no true counterpart. Reciprocal obligations gave way to one-sided responsibilities. Contributing to the seigniorial reaction, the old institution even enjoyed renewed vigor at the end of the Old Regime.

Alexis Mages

La place du droit commercial chez nos juristes anciens (XVIe-XVIIIe siècle)

Si un droit marchand se dessine dès le Moyen Âge, en raison notamment du développement des foires et marchés, son examen ne fait pas en revanche l'objet d'une étude particulière, à côté du droit civil, de la part de nos juristes anciens. Les choses évoluent un peu après l'édit de 1673, dans la mesure où quelques auteurs (Jousse, Boutaric, Sallé...) commentent celui-ci. Cependant, ces commentaires ont encore du mal à se départir d'une approche civiliste, au sens ancien du terme, alors qu'ils ne traitent en principe que des matières de commerce (sociétés, lettres de change, juridiction consulaire...). La présente étude a donc pour objet d'approfondir, dans une perspective historique, un ensemble de questions qui ont agité (qui agitent encore) la doctrine contemporaine : le droit commercial constitue-t-il un droit autonome ? Est-il dépendant ou subordonné au droit civil ? Plus généralement, relève-t-il de la sphère privée ou publique ?

The Place of Commercial Law for Jurists of the Past (XVI-XVIII century)

Although trade law began to take shape in the Middle Ages, namely due to the development of fairs and market places, it was, nevertheless, not the focus of any particular study, alongside civil law, on the part of our past legal experts. After the 1673 edict, things evolved to an extent that some authors (Jousse, Boutaric, Sallé, etc.) commented on it. However, such commentary scarcely deviated from a civilist approach, in the ancient sense of the term, as in principle, it only dealt with matters of commerce (companies, bills of exchange, consular jurisdiction, etc.). Therefore, the purpose of this study was to conduct an in-depth examination, from a historical perspective, of a series of questions that have perplexed (and continue to perplex) contemporary doctrine: does commercial law constitute an autonomous branch of law? Is it dependent on, or subordinate to, civil law? In more general terms, does it fall within the private or the public realm?

Sylvie Valet

Le stage : une invention de l'Ancien Régime

Il semble aller de soi de considérer le stage comme une institution récente. Rien n'est pourtant moins certain. Le mot « stage », entendu comme une période de formation pratique accompagnant ou complétant des études théoriques, date des années 1770-1780. La chose « stage » apparaît, semble-t-il, quand l'enseignement théorique peine à former des professionnels. Elle résulte d'une volonté politique peu à peu relayée par les professionnels eux-mêmes. La monarchie ainsi rénove les études juridiques et médicales ; les premières par l'édit de Saint-Germain-en-Laye, de 1679 ; les secondes avec l'édit de Marly, en 1707. Puis, au xviiie siècle, ce sont les ordres professionnels, les barreaux notamment, qui organisent peu à peu le stage des avocats, tandis qu'une élite médicale impose la fréquentation des malades aux étudiants en médecine. Cette contribution, née à l'occasion d'un colloque international consacré aux stages, qui s'est tenu en juin 2010 à l'Université Paris-Est, envisage les modalités de ces différents stages : leur durée, leurs missions, leur rémunération, ou à l'inverse, leur défaut de rémunération. Les institutions sont pérennes : l'étudiant stagiaire d'hier présente un certain nombre de ressemblances avec celui d'aujourd'hui.

Internships: An Invention of the Old Regime

It seems self-evident to consider internship as a fairly modern institution. But nothing could be further from the truth. The word "stage" (internship), in the sense of a period of hands-on training that accompanies or complements theoretical studies, dates from the years 1770-1780. It appears that internships came about when theoretical instruction proved to be insufficient for training professionals. They were the result of a political will gradually transmitted by the professionals, themselves. Thus, the monarchy reformed legal and medical studies, the former through the Edict of Saint-Germain-en-Laye in 1679, and the latter through the Edict of Marly in 1707. Therefore, by the 18th century, there were professional corporations — or bars — that gradually organized internships for lawyers, while the medical elite instituted hospital visits as part of the training for students of medicine. This article, stemming from an international symposium dedicated to internships, held in June of 2010 at the University of East Paris, considers the modalities of these various internships: their duration, their missions, their salaries — or conversely, their lack of salaries. The institutions are perennial: the student-intern of yesterday in many ways resembles the student-intern of today.

Sébastien Évrard

Une région placée en état de siège : le point de vue d'un juge militaire en pays chouan (1793-1795)

Parmi les nouveautés institutionnelles que la Révolution consacre à la justice, l'une d'elle reste emblématique de l'époque : la justice militaire. En effet, elle traduit les avancées de la législation du temps : droits de la défense reconnus, procédure à double jury (l'un d'accusation, l'autre de jugement), sanctions qui comportent des peines privatives de liberté. En prenant pour exemple l'Armée des Côtes de Cherbourg, on se propose d'évoquer tant les infractions que les sanctions infligées aux militaires, ainsi que l'arme des unités les plus impliquées. Quant aux infractions les plus nombreuses, on relève, par ordre d'importance décroissante, la désertion, le vol, le pillage : telles sont alors les plaies qui frappent cette armée française. Mais encore faut-il que les deux jurys évoqués plus tôt s'accordent, ce qui est loin d'être toujours le cas. D'ailleurs, l'intervention des représentants du peuple en mission complique aussi la situation : en usant de l'amnistie, ils tendent à fausser le cours de la justice militaire.

A Region under Siege: The Opinion of a Military Judge in Chouan Territory (1793-1795)

Of the novel institutions that the French Revolution committed to law, one is representative of the era: military justice. In fact, it reflects the advances in legislation of the time: the right to defense, a double-jury process (one for arraignment and another for sentencing) and punishments involving incarceration. Using the Army of the Coasts of Cherbourg as an example, the aim is to illustrate both the violations and the punishments inflicted on military personnel, as well as the most implicated branches. As for the most common violations, they include, in order of importance, desertion, theft and looting: such are the plagues that afflicted the French army. However, it was still necessary for the aforementioned two juries to agree, which was far from always being the case. The involvement of representatives of the people further complicated the situation: by invoking amnesty, they often interfered with the course of military justice.

Amandine Duvillet

Quand la contestation s'élève : la remise en cause de l'article 340 du Code civil prohibant la recherche de la paternité, dans la seconde partie du XIXe siècle

Des critiques, parfois virulentes, à l'encontre de l'article 340 du Code civil, émanant de juristes, d'écrivains, de journalistes, d'économistes et d'hommes d'État vont aboutir à l'admission de la recherche de la paternité. Les tenants de la nécessité d'une réforme sont indignés par l'impunité offerte aux séducteurs par cette disposition du Code Napoléon. Ils décrivent les graves répercussions de l'irresponsabilité des pères naturels : des filles-mères délaissées, souvent issues des classes laborieuses, qui ne peuvent assumer seules l'enfant, d'où les nombreux avortements et infanticides. Leur dénonciation de la destinée navrante des enfants naturels non reconnus, de ceux qui sont abandonnés à l'assistance publique et dont l'avenir est compromis, fait apparaître combien la société pâtit de la situation. Ces libres-penseurs ne se contentent pas de s'insurger, ils élaborent des projets. Alors que l'impulsion idéologique se poursuit, les législateurs examinent la question à partir de 1878. Plusieurs propositions de lois se succèdent à l'initiative de sénateurs et de députés conscients des méfaits provoqués par l'interdiction de la recherche de la paternité.

When an Objection is Raised: Reconsideration of Article 340 of the Civil Code Banning Paternity Searches in the Latter Part of the 19th Century

The sometimes virulent criticism of Article 340 of the Civil Code, issued by legal experts, writers, journalists, economists and politicians, would result in the admission of paternity searches. Advocates of reform were outraged by the impunity granted to seducers under this provision of the Napoleonic Code. They described the serious consequences of the irresponsibility of biological fathers: abandoned, often working-class, unwed teen mothers, who could not support a child by themselves, resulting in numerous cases of abortion and infanticide. Their denunciation of the pitiful fate of unacknowledged natural children, who were abandoned to public welfare and whose futures were compromised, demonstrated how much society suffered as a result of this situation. These free-thinkers weren't content simply to rebel: they drafted bills. As the ideological impetus continued, legislators began examining the matter in 1878. Many propositions came about at the initiative of senators and deputies who were conscious of the evils arising from the ban on paternity searches.

Georges Vayrou

Retour sur la querelle des gaziers et électriciens. Quelques résistances inédites en Côte-d'Or et ailleurs

Une précédente communication sur le sujet a suscité suffisamment de réactions à Dijon et à Paris pour inciter à poursuivre les recherches dans deux directions : les Archives municipales de Déville-lès-Rouen, et les dossiers « gaz électricité » des Archives départementales de la Côte-d'Or, et de la Bibliothèque Cujas de Paris. Et ce qu'on y a découvert, enrichi d'une communication parisienne croisée, mérite d'être présenté, au risque de redite de quelques éléments déjà écrits dans cette revue, mais les « découvertes » de Déville-lès-Rouen d'une part, de Saint-Jean-de-Losne et de quelques autres d'autre part, valent bien, semble-t-il, quelques répétitions et rappels. Il s'agit de montrer qu'à l'occasion de la fameuse « querelle des gaziers et des électriciens » de la fin du xixe siècle au début du xxe, la jurisprudence a pu être une force de résistance au progrès, contre la volonté des villes. Mais on pourra constater également que certaines villes semblent s'être opposées, indépendamment de toute action contentieuse, à l'arrivée de l'électricité. Mais quelle que soit la position du juge, « refusant le progrès », ou inventant « la mutabilité des contrats administratifs », les conséquences de la jurisprudence sur le terrain sont parfois l'inverse de ce que l'on pouvait en attendre. Il n'est pas sûr que « l'intérêt général », ni « le progrès technique », aient constitué la principale préoccupation des protagonistes de ces affaires. Mais il est certain que, dans ce domaine comme dans d'autres, la raison du plus fort est toujours la meilleure.

Revisiting the Dispute between the Gas and Electric Companies: Unpublished Opposition in Côte-d'Or and Elsewhere

A prior communication on the topic elicited sufficient reaction in Dijon and Paris to prompt research in two areas: the Déville-lès-Rouen Municipal Archives, and the "gas-electricity" case files in the Côte-d'Or Departmental Archives and the Cujas Library in Paris. What was discovered there, enriched by Parisian cross-communications, merits presentation, even at the risk of republishing some of elements already written in this review, as the "discoveries" in Déville-lès-Rouen on the one hand and Saint-Jean-de-Losne and several other places on the other hand are seemingly worth repeating and reviewing a few times. It has to do with demonstrating that, at the time of the famous "dispute between the gas suppliers and electricians" from the end of the 19th century to the beginning of the 20th century, jurisprudence could be a force in resistance to progress, against the will of the cities. However, it can also be noted that certain cities seemed to be opposed to the arrival of electricity, independently of any contentious proceedings. Regardless of the judge's position, whether "refusing progress" or devising "the mutability of administrative contracts," the consequences of jurisprudence in the area are sometimes just the opposite of what one might expect. It is not necessarily true that "general interests" or "technical progress" were the primary concern of the principal players in these matters. However, what is certain is that, in this realm, as in others, might makes right.

Anne Peroz

Épinal, une place forte du système de défense Séré de Rivières pendant la Première Guerre mondiale

Les conditions du traité de Francfort, ratifié par le Parlement français le 18 mai 1871, privent le territoire national de deux places fortes majeures (Metz et Thionville), et exposent la frontière à une nouvelle attaque allemande. Dès 1873, l'état-major, représenté par le général Séré de Rivières, directeur du Génie, entreprend la reconstruction d'une ligne défensive à la frontière de l'Est. Achevé en 1885, le « système Séré de Rivières » comprend ainsi 150 forts, 40 ouvrages secondaires et 250 batteries d'artillerie. La place forte d'Épinal se trouve au cœur de ce dispositif militaire. Située face à la nouvelle frontière franco-allemande, elle est destinée à empêcher l'ennemi de pénétrer au cœur du territoire français. La place forte d'Épinal n'est pas qu'une zone défensive au service des plans de l'état-major. Elle doit aussi porter l'attaque, en prenant par le flanc des troupes allemandes s'étant imprudemment engouffrées dans la « Trouée de Charmes ». En 1914, Épinal passe ainsi du statut de cité administrative, chef-lieu de département, à celui d'enclave militarisée, pilier des plans de bataille de l'état-major. Les quelques 30 000 habitants d'Épinal vivent dans une société martiale, polarisée par la guerre. Nous tenterons de pénétrer dans les rouages de la place forte d'Épinal, afin d'étudier les particularités de la vie quotidienne dans une enclave où l'intérêt de la défense nationale est tout-puissant. La place d'Épinal apparaît comme un territoire stratégique, où le commandement militaire met en œuvre des compétences exorbitantes peu respectueuses des libertés publiques.

Épinal, a Stronghold of the Séré de Rivières Defense System during World War I

The conditions of the Treaty of Frankfurt, ratified by the French Parliament on May 18, 1871, stripped the national territory of two major strongholds (Metz and Thionville), exposing the border to renewed attacks by German troops. Beginning in 1873, military staff, represented by General Séré de Rivières, Director of Engineering, undertook the reconstruction of a defensive line on France's eastern border. Completed in 1885, the "Séré de Rivières System" was comprised of 150 forts, 40 secondary structures and 250 batteries of artillery. The fortifications of Épinal were at the heart of this military installation. Situated on the new Franco-German border, they were intended to prevent the enemy from invading the heart of the French territory. The fortifications of Épinal were more than simply a defensive zone in service of the plans of military staff. They also had to mount an attack, a counter-offensive strike against the German troops that had charged headlong into the "Gap of Charmes". In 1914, Épinal went from being an administrative complex, the capital of the department, to a militarized zone, the base of military staff's battle plans. The approximately 30 000 inhabitants of Épinal lived in a martial society, polarized by war. We will attempt to delve into the inner workings of the stronghold of Épinal in order to learn about the details of day-to-day life in an enclave where there was an all-pervasive interest in national defense. The fortifications of Épinal are revealed as a strategic territory where the military command exercised excessive jurisdiction with little respect for civil liberties.

Anne-Sophie Chambost

Le sens de l'ordre, dans la passion de la liberté. Maxime Leroy, juriste proudhonien (1873-1957)

Observateur critique du parlementarisme d'avant-guerre et des tentatives de modernisation de la République dans l'entre-deux-guerres, Maxime Leroy offre un éclairage intéressant sur les nouvelles manières de penser le droit qui se sont faites jour sous la Troisième République. En s'affranchissant de la loi comme seule source du droit (donc du parlement comme seule source du pouvoir), sa pensée politique et juridique oppose la capacité normative des groupes sociaux intermédiaires, à la tradition française de la représentation fondée sur l'universalisme républicain. Adossée à une logique pluraliste, l'idée de droit social ouvre sur de nouvelles formes consultatives (représentation sociale et professionnelle), qui bousculent le monisme républicain.

The Sense of Order in the Passion for Liberty Maxime Leroy, Proudhonian Jurist (1873-1957)

Critical observer of pre-war parliamentary government and of the attempts for a modernization of Republic during the interwar period, Maxime Leroy offers an interesting view on the new ways of thinking the law, which were developped during the Third Republic. Freeing itself from the law as the only source of justice (thus of the parliament as the only source of power), his political and legal thought sets the normative capacity of the intermediate social groups, against the french tradition of representation based on the republican universalism. Based on a pluralistic logic, the idea of social law leads to new consultative forms (social and professional representation), which turns down republican monism.