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Tome 68 (2011) : résumés des articles

Michel Petitjean

Quelques observations sur les rapports entre époux d'après les chartes clunisiennes des IXe, Xe et XIe siècles

À partir des termes relevés dans les chartes de Cluny, il est possible d'éclaircir les rapports juridiques entre époux du ixe au xie siècle. Apparaît d'abord l'obligation de doter, lointain souvenir du mariage par achat. Cette exigence pèse à la fois sur le fiancé et sur le mari, sponsalitium pour le premier, dotalitium, dos pour le second. Ces deux apports sont effectués par deux actes distincts ou en même temps dans un seul et même acte. Cette dotation porte sur les éléments patrimoniaux, meubles et immeubles propres ou les acquêts, c'est-à-dire les acquisitions réalisées pendant l'union matrimoniale, pour une quotité variable : quart, moitié ou tiers le plus souvent. Habituellement, la femme reçoit sa dot en pleine propriété, mais à partir du xe siècle, cet avantage tend à devenir un droit d'usufruit, un gain de survie annonçant l'apparition du douaire, future pièce essentielle du régime matrimonial. Enfin, la femme devient l'associée de son mari. Elle agit à ses côtés dans la gestion du patrimoine. Cette association des deux époux conduit au partage des acquêts par moitié et préfigure le régime de la communauté d'acquêts étroitement lié au douaire.

Some observations on the relations between spouses according to the Cluny charters of the ninth, tenth and eleventh centuries

From the terms found in the charters of Cluny, it is possible to clarify the legal relations between spouses, from the ninth century to the eleventh century. First appears the obligation to endow, which was a distant memory of marriage by purchase. This requirement weighed both on the bride and the husband, that is, sponsalitium for the prior, and dotalitium, dos for the latter. These two contributions were made either in two separate acts or together in a single act. This endowment focused on property, moveable and immoveable acquired (acquêts) or inherited (propres); that is to say the acquisitions made during the marriage, with variable quota: most often a quarter, a half or a third. Usually, the woman received full ownership of her dowry, but from the tenth century onwards, this advantage tended to become a right of usufruct, a right of survivorship announcing the appearance of dower, that was an essential part of the future matrimonial settlement. Finally, the wife became her husband's partner. She worked by his sides in managing wealth. This association led the couple to share of acquisitions by half, and foreshadows the community of real estate acquired during married life closely related to dowry.

Vincent Corriol

Le Liber Aureus, ou Livre des Vassaux de Saint-Claude : image d'un réseau vassalique au début du XIVe siècle

Le Liber Aureus ou Livre d'Or, parfois appelé Livre des Vassaux de Saint-Claude, renferme une collection ordonnée de 116 notices d'hommages et de reconnaissances de fief, toutes prêtées à Eudes de Vaudrey, abbé de Saint-Claude (Jura), entre 1307 et 1316. Par cette présentation et par sa réalisation, ce document exceptionnel livre un tableau exhaustif des réseaux vassaliques de ce qui constitue une des plus puissantes abbayes du comté de Bourgogne, en même temps qu'une image des réseaux politiques dans lesquels s'insère l'abbaye. Depuis son implantation jurassienne, l'abbaye rayonne bien au-delà de son domaine, via un réseau étendu de possessions et de vassaux qui permettent à son abbé de figurer aux côtés des grandes figures princières environnantes que sont les comtes de Savoie, de Bourgogne ou les dauphins de Viennois. La réalisation du Liber Aureus s'inscrit alors dans un contexte politique régional troublé où l'affirmation des principautés territoriales est ressentie par l'abbaye comme une menace pour son indépendance, qu'elle tente de sauvegarder par tous les moyens. La réalisation d'un tel document permet aussi de mettre en lumière la nature des réseaux vassaliques et leur fonctionnement au quotidien, en révélant une campagne systématique et organisée de collecte et de rédaction des hommages qui précède la composition du document.

The Liber Aureus, or the Book of the Vassals of Saint-Claude: a Portrayal of a Vassal Network in the Early Fourteenth Century

The Liber Aureus or Golden Book, sometimes called Livre des Vassaux de Saint-Claude, contains an ordered collection of 116 notes in homage for, and in recognition of, the fief - all of which are attributed to Eudes de Vaudrey, the Abbot of Saint-Claude (Jura) from 1307 to 1316. Through its presentation and its development, this exceptional document delivers an exhaustive description of the vassal networks of one of the most powerful abbeys in the County of Burgundy, as well as a picture of the political networks within which the Abbey fits. The Abbey radiates far beyond the domain of its Jura settlement through an extensive network of possessions and vassals that allows its Abbot to appear alongside great princely figures of the surrounding area, such as the counts of Savoy and Burgundy, or the Dauphins of Viennois. The development of the Liber Aureus occurred within a context of troubled regional politics, wherein the Abbey considered the assertion of territorial principalities as a threat to its independence, which it tried by all means to protect. The development of such a document also sheds light on the nature of vassal networks and their daily operation, revealing a systematic and organized campaign for the collection and writing of the homages that predate the composition of the document.

Sylvie Le Strat-Lelong

Les châtelains domaniaux dans le comté de Bourgogne au milieu du XIVe siècle. Entrer au service du Prince

L'ensemble des forteresses domaniales du comté de Bourgogne sous les principats d'Eudes IV (1330-1349) et de Philippe de Rouvres (1349-1361) est administré par des châtelains, dont la nomination est fortement encadrée par le pouvoir central, qui exige d'eux la prestation d'un serment de fidélité et de l'hommage. Leur affectation privilégie une implantation locale afin de tirer le meilleur parti des réseaux d'influence de ces agents. Bien qu'elle soit exceptionnellement ouverte à des roturiers, il semble que la fonction se soit aristocratisée et qu'elle soit devenue l'apanage de véritables lignées châtelaines, parmi lesquelles apparaissent de nouvelles familles également détentrices de maisons fortes à titre personnel, et socialement plus élevées que les anciennes. Elles sont issues essentiellement de la noblesse rurale, mais comptent aussi quelques urbains. L'exercice de la fonction de châtelain leur permet de sceller leur ralliement au pouvoir comtal en cette période d'opposition nobiliaire, ainsi que de trouver un remède à la crise dont elles sont les victimes. La société châtelaine constitue un véritable groupe social, avec ses alliances et ses relations internes, mais qui reste malgré tout ouvert. Elle fournit au pouvoir un réservoir d'hommes compétents où puiser selon les besoins. En effet, si la fonction jouit d'un certain prestige, elle n'apparaît pas comme un tremplin social ou une fin de carrière, car il existe une grande mobilité entre les différents offices de la principauté.

Châtelains domaniaux in the County of Burgundy in the middle of the 14th Century. How to enter the service of the Prince

When Princes Eudes IV (1330-1349) and Philippe de Rouvres (1349-1361) ruled over the County of Burgundy, all the domanial fortresses were governed by châtelains. The latter were directly appointed by the central authorities, which required from them that they should pledge allegiance and pay homage to their prince. They were mostly appointed among the local squires so that the government of the County could use them as their agents and best benefit from their influence and acquaintances. Though it might have been open to commoners in particular instances, this service seems to have been gradually reserved to the aristocracy and become the privilege of feudal lords and their lineage; among them it is to be noted that some new families also appeared who owned strongholds as part of their private fortune and had attained a higher social rank than the long established noble families. These new families mostly originated from the rural nobility but also included some noble people coming from towns. Ruling as feudal lords enabled them to mark their rallying to the County's government at a time when the nobility opposed it, as well as find a remedy to the crisis that they were the victims of. The feudal lord society therefore constituted a real social group, with its alliances and its internal relationships, but that remained open all the same. It provided the government of the County with a supply of competent man that they could call upon according to their needs. For indeed no matter how prestigious that service could be, it didn't appear as a means to climb up the social ladder or to end one's career, for one could easily move from one office of the princedom to another.

Pierre Gresser

Contribution à l'histoire des voies de communication dans le comté de Bourgogne aux XIVe et XVe siècles

Depuis le célèbre ouvrage de Vital Chomel et de Jean Ebersolt, publié en 1951 (Cinq siècles de circulation internationale vue de Jougne. Un péage jurassien du XIIIe au XVIIIe siècle), plusieurs travaux ont été consacrés aux voies de communication dans le comté de Bourgogne aux xive et xve siècles. Cet article n'a pas pour but de faire la synthèse des études existantes, mais de montrer ce que contiennent les comptes du bailliage d'Aval. Les registres financiers, conservés à Dijon, datent de 1358-1359 à 1381-1382. Seule la première partie de la comptabilité (les recettes) a été analysée. Elle permet de compter les péages et de les localiser. Si certains relevaient de l'exploitation directe, d'autres étaient loués. Dans tous les cas il est très difficile de savoir ce que rapportaient ces lieux de passage obligatoire. L'article contient aussi une présentation des ponts que l'on pouvait franchir en payant une certaine somme d'argent. Au total, un travail qui doit être poursuivi en lisant la seconde partie de la comptabilité (les dépenses) et en étudiant les comptes postérieurs à 1382.

Contribution to the History of Roads in the County of Burgundy in the Fourteenth and Fifteenth Centuries

Since the famous work of Vital Chomel and Jean Ebersolt, published in 1951 (Five centuries of international circulation as seen from Jougne. A thirteen to eighteenth century toll in the Jura), several studies have been devoted to communication routes in the county of Burgundy in the fourteenth and fifteenth centuries. The aim of this article is not to summarise these existing studies, but to expose the contents of the bailliage of Aval. Financial records, kept in Dijon, date from 1358-1359 to 1381-1382. Only the first part of the accounts (the revenues) has been analysed. This allows us to innumerate the tolls and to locate them. If some were directly used, others were rented. In any case, it is very difficult to know what revenue was generated by these required crossing points. The article also contains an overview of the bridges that could be crossed by paying a certain sum of money. In short, this work must be continued by reading the second part of the accounts (the expenses) and by studying the post-1382 accounts.

Hugues Richard

Une consultation de Jean Bannelier à propos des droits de l'abbaye Saint-Martin d'Autun à Avallon (1756)

Jean Bannelier (1684-1766) avocat et professeur à la faculté de droit de Dijon est l'auteur, avec son confrère Chevrot, d'une consultation pour l'abbé de Saint-Martin d'Autun, dans un litige qui l'opposait à des habitants d'Avallon. L'abbé, dans le cadre d'une remise en ordre des droits féodaux appartenant à leur prieuré d'Avallon, leur demandait le payement des cens qu'ils lui devaient. Les censitaires invoquaient la prescription. Bannelier et Chevrot démontrent que ces cens sont imprescriptibles. Il est probable que les censitaires se soient exécutés sans poursuivre un procès qu'ils risquaient fort de perdre. Mais cette consultation, datée du 14 avril 1756, a été citée dans le procès qui opposait, là encore, l'abbé de Saint-Martin à des censitaires d'Avallon au sujet de la prescription des cens. Et l'abbé a gagné, tant devant le bailliage d'Avallon que devant le parlement de Dijon, par un arrêt du 18 août 1757.

A consultation from Jean Bannelier about the Abbey Saint-Martin of Autun rights in Avallon (1756)

Jean Bannelier (1684-1766), a barrister and a professor at the faculty of law in Dijon, is, with his fellow-member Chevrot, the writer of a consultation for the abbot of Saint-Martin in Autun, in a litigation that contrast the abbey with the inhabitants of Avallon. Because he tries to put in order back the feudal rights that belong to their priory in Avallon, the abbot asks the inhabitants to pay the quit-rent (cens) that are due to the abbey. The copyholders put forward the prescription. Bannelier and Chevrot demonstrate that the quit-rent is indefeasible. Probably, the copyholders submit to paying without prosecuting a case that may be lost. But this consultation, from the 14th of April 1756, has been also quoted in a trial about the prescription of the quit-rent that contrast, once again, the abbot of Saint-Martin with some copyholders from Avallon. The Abbot won his case in front of the bailliage of Avallon and in front of the parlement of Dijon.

Sébastien Évrard

Les juges, les épices et les revenus des charges de justice. Trois exemples concrets du Parlement de Bourgogne sous le règne de Louis XVI

Dans le système judiciaire français antérieur à la Révolution, les juges qui servaient dans les juridictions étatiques (bailliages, présidiaux, parlements,...) recevaient des gages. Or, avec l'apparition de la vénalité des offices (xvie siècle), puis de celle de l'hérédité (xviie siècle), les charges de justice se multiplièrent au gré des besoins financiers de l'État monarchique. La conséquence fut double : d'une part, les pouvoirs publics s'efforcèrent de limiter autant que possible le poids financier de la rémunération des juges et ces derniers étaient payés avec retard. Dès lors, les juges trouvèrent un moyen d'accroître leurs revenus : ce fut les épices, auxquelles on ajoute les droits de rapport et les vacations. Ces épices, bien connues dans leur origine, sont en revanche encore mal cernées quant à leur ampleur ; aussi cette étude s'attache-t-elle à démontrer que sous le règne de Louis XVI, les épices perçues par les officiers (du siège) du parlement de Bourgogne étaient plus ou moins élevées en fonction de plusieurs critères : leur présence active aux séances judiciaires, leur contribution aux rapports, leur ancienneté... Dans ces conditions, en prenant trois exemples de cette juridiction, on observe des revenus presque doublés en raison du poids des épices perçues. On comprend ainsi l'attachement du milieu judiciaire à ces épices, quelle que soit la juridiction concernée. Mais cela explique aussi, en Bourgogne, les conflits sérieux qui opposent le monde du parlement à celui de l'intendance. Le dernier intendant, par une série de réformes administratives, avait en effet provoqué — en peu de temps — la chute de moitié des épices perçues par le parlement.

Judges, Épices and Revenues of Justice Charges. Three concrete Examples from the Parlement of Burgundy during the Reign of Louis XVI

In the French legal system prior to the Revolution, judges serving in the state jurisdictions (bailliages, presidial courts, parlements...) received wages. But with the sale of offices (in the sixteenth century) and then heredity (in the seventeenth century), the courts multiplied charges according to the financial needs of the monarchical state. The result was twofold: first, the authorities endeavoured to minimize the financial burden of compensating judges, and judges were paid late. From then on, judges found a way to increase their income: they resorted to épices, to which were added droits de rapport and vacations. Although the origin of these épices is well known, their magnitude is still poorly grasped. This study shows that, under the reign of Louis XVI, the amount of épices collected by the officers (of the bench) in the Parlement of Burgundy depended on several criteria: their active presence in the judicial sessions, their contribution to reports, their seniority... Under these conditions, considering three examples of that jurisdiction, we can see that income almost doubled due to the weight of épices collected. We understand the commitment of the legal community to these épices, regardless of jurisdiction. But, in Burgundy, this also explains the serious conflicts that arise between the world of parlement to that of the intendancy. The last intendent, by a series of administrative reforms had in fact caused — in a short time — the collapse of half of the épices collected by the parlement.

Marie-Christine Guiol

La question de la légitimité de la peine capitale au XVIIIe siècle, des Lumières à la Constituante

L'idée de retrancher de la société tout individu nuisible ayant causé un trouble, et dont l'incorrigibilité entraîne pour elle des dangers considérables, apparaît comme une idée fort ancienne, dont les civilisations archaïques faisaient déjà application, et qui persiste invariablement jusqu'à la fin de l'Ancien Régime. Il existe différentes façons de préserver la société d'un comportement délictueux, et plus précisément pour éviter qu'un délinquant ne porte une nouvelle fois atteinte à la sécurité publique. Si les moyens sont divers, ils répondent cependant tous à un principe commun, l'idée d'exclusion et de neutralisation, qui peut être temporaire ou définitive. La peine éliminatrice par excellence est la mort, qui peut s'analyser comme « l'exclusion définitive de la société, d'individus reconnus incorrigibles ou dangereux ». La peine de mort, longtemps considérée comme « clef de voûte des systèmes répressifs », connaît l'apogée de son crédit sous la plume des criminalistes d'Ancien Régime. Ces derniers distinguent « différents degrés parmi les peines de mort naturelle », illustrant la diversité des pratiques, moyennant une véritable graduation des modalités d'application de la peine de mort. Aussi, face à cette conception traditionnaliste de la peine capitale, le Traité des délits et des peines, publié par Beccaria en 1764, produit-il l'effet d'un véritable bouleversement pénal, l'auteur estimant que cette sanction ne doit être conservée qu'à titre exceptionnel. Une grande question se pose enfin aux esprits éclairés : « la société a-t-elle ou non le droit d'ôter la vie aux membres qui la composent ? Si elle l'a, jusqu'où s'étend ce droit terrible ? ». La question de la peine de mort est l'une des plus importantes qu'aient à résoudre respectivement le philosophe et le législateur. Mais tous deux ne l'appréhendent pas de la même manière. En effet, le premier l'envisage de façon théorique, comme une question de principe. Il s'interroge ainsi sur sa légitimité et sur ses éventuelles conséquences. Le second la perçoit de manière purement pratique, sous l'angle de son application, essayant de la régir et de l'organiser dans le respect de ce qu'il estime être des impératifs sociaux. Ainsi, pour ce qui est de la peine de mort, le débat de l'Assemblée constituante ne s'assimile nullement à celui résultant de l'opinion des philosophes, à la fin de l'Ancien Régime.

The question of the Legitimacy of Capital Punishment in the XVIIIth century, from the Enlightenment to the Constituent Assembly

The idea of removing from society harmful individuals that have caused disorder, and whose incorrigibility causes considerable danger for society, seems like a very old idea, which archaic civilizations have already applied, and which invariably continued to be applied to the end of the Ancien Régime. There are different ways to preserve society from a criminal conduct, and specifically to prevent an offender from damaging public safety again. While these responses are different, they all respond to a common principle: that is, the idea of exclusion and neutralization, which can be temporary or permanent. The quintessential penalty of exclusion is death, which can be regarded as "permanent exclusion from society of individuals found incorrigible or dangerous". The death penalty, long considered "the keystone of repressive systems," saw its highest credit attributed by the writings of the criminologists of the Ancien Régime. They distinguish "different degrees among the sentences of natural death," illustrating the diversity of practices, with a true scale of the implementing rules of the death penalty. Thus, considering this traditionalist conception of capital punishment, the Treaty of Crimes and Punishments, published by Beccaria in 1764, produced the effect of a real upheaval of criminal law, as the author believes that this penalty should only be retained in exceptional circumstances. A great question finally poses itself to enlightened minds: "Does society have the right to take the life of its members or not? If it does, how far does this terrible right extend?". The question of the death penalty is one of the most important questions that the philosopher and the legislator, respectively, must set out to solve. But they do not both apprehend it in the same way. Indeed, the prior envisages it in a theoretical manner, as a matter of principle. He thus wonders about its legitimacy and its possible consequences. The latter perceives it in a purely practical way, in terms of its application, and tries to regulate and organize it in accordance with what he sees as social imperatives. Thus, with respect to the death penalty, the debate in the Constituent Assembly cannot be assimilated to that resulting from the views of philosophers, at the end of the Ancien Régime.

Laurent Bouchard

La propriété minière au XIXe siècle

Après les imprécisions des législations antérieures sur la propriété minière, l'intervention du 21 avril 1810 avait vocation à permettre une meilleure exploitation de ressources de plus en plus stratégiques avec les innovations technologiques qui s'engageaient. La norme impériale devait ainsi permettre de préciser enfin les modalités exactes de répartition de la propriété minière entre les trois parties prenantes qu'étaient l'État, l'exploitant et le propriétaire du terrain. Elle trancha très clairement en faveur d'une approche libérale en assimilant l'exploitant minier à un propriétaire, distinct du propriétaire de la surface, afin de lui offrir toute la sécurité juridique nécessaire à une exploitation optimale. Pour autant, si cette législation perdura plus de cent ans, jusqu'à la réforme de 1919, ce fut moins parce que cette solution engendra un consensus que parce que ses adversaires étaient profondément divisés sur les alternatives à privilégier. La loi de 1810 connut de nombreuses et profondes évolutions, en particulier dans la seconde moitié du siècle. Celles-ci, en renforçant toujours un peu plus le contrôle administratif du propriétaire, consacrèrent une dénaturation progressive de l'esprit libéral originel. Finalement, il fallut attendre 1919 pour que cette inclination trouve sa conclusion logique avec l'abandon de l'idée même de propriété minière par le législateur qui lui préféra des concessions à durée limitée avec cahier des charges contractuel, comportant notamment une participation de l'État aux bénéfices de l'exploitation. Accompagnant l'expansion de l'industrie minière, l'évolution juridique de la législation en la matière se présente donc comme un exemple d'une implication croissante de l'État dans le secteur économique. Dès lors, la législation de 1810 constitue un témoignage juridique essentiel des profondes transformations politiques et sociales qui ont marqué le xixe siècle.

The mining property in the XIXth century

After the inaccuracies of previous legislation on mining property, the intervention of the 21st of April, 1810 was intended to allow better exploitation of resources, which were progressively becoming more strategic with the technological innovations that were developing. The imperial law was thus meant to finally clarify the exact terms of mining property distribution between the three stakeholders that were the State, the developer and the landowner. It settled very clearly in favour of a liberal approach by likening the mine developer to an owner, separate from the surface owner, in order to offer all the necessary legal protections to mine in the best conditions. However, if this legislation lasted over a hundred years, until the reform of 1919, it was less because this solution begot a consensus than because its opponents were deeply divided on the preferred alternative. Moreover, the law of 1810 went through numerous and profound changes, especially in the second half of the century. These, by continuously strengthening the administrative control of the owner, entailed a progressive distortion of the original liberal spirit. Finally, it was not until 1919 that this tendency found its logical conclusion with the abandonment of the very idea of mining property by the legislator, who preferred short-term concessions covered by contract specifications, including an involvement of the State in the profits of the mining. With the expansion of the mining industry, the legal evolution of the relevant legislation is therefore presented as an example of a growing involvement of the government in the economic sector. Therefore, the legislation of 1810 is an essential legal testimony of the profound political and social transformations that marked the nineteenth century.

Renaud Bueb

La corvée des routes au XIXe siècle : une institution méconnue, la prestation en nature

Le maillage du territoire par un réseau routier de bonne qualité constitue un enjeu stratégique pour un État : par les routes circulent les hommes, les marchandises et les armées. En 1776, Turgot supprimait la corvée royale des routes, remplacée par un impôt universel. La réforme échoua. La corvée fut rétablie. Mais le problème était posé : quel pourrait être l'impôt égalitaire pour financer les routes ? Après la tourmente révolutionnaire, les édiles constatent le mauvais état des routes, notamment des chemins ruraux. Les voies nationales sont sous la responsabilité de l'État. Le réseau local d'intérêt départemental ou communal dépend des autorités de proximité. L'Empire puis la Restauration réintroduisent la corvée des chemins vicinaux ou prestation en nature, contribution de travail convertible en argent. La Monarchie de Juillet perfectionne l'impôt, par la loi du 21 mai 1836, véritable code de la vicinalité, stimulant ainsi le renouveau du réseau vicinal et de l'économie rurale. L'examen de ses modalités de fonctionnement, de son assiette, de l'organisation de la journée est révélateur des pratiques et des mentalités de la France rurale. La prestation en nature finit par être adoptée par les paysans. L'administration restera prudente, soucieuse d'effacer le souvenir du travail forcé et des corvées de la féodalité. À la fin du siècle, la suppression de la « prestation en nature-corvée des routes » est mise en œuvre par les républicains.

The corvée des routes in the nineteenth century: a little-known institution, the prestation en nature

The meshing of an area by a good road network is a strategic issue for a state: the roads move people, goods and armies. In 1776, Turgot abolished the royal corvée des routes, and replaced this by a universal tax. The reform failed. The corvée was restored. But a problem was raised: what egalitarian tax could fund roads? After the revolutionary upheaval, the local councillors noticed the poor conditions of the roads, especially the rural roads. National roads are under the responsibility of the state. The local network of departemental or communal interest depends on the local authorities. The Empire and then the Restoration reintroduced the corvée des chemins vicinaux or prestation en nature, a contribution of work convertible into money. The July Monarchy perfected the tax, by the law of the 21st of May 1836, a real code de la vicinalité, thereby stimulating the renewal of the vicinal network and the rural economy. A review of its operating procedures, its base, and of the organization of the day is revealing of the practices and attitudes of rural France. The prestation en nature came to be adopted by peasants. The government would remain cautious, eager to erase the memory of forced labour and corvées of feudalism. At the end of the century, the Republicans would implement the abolition of the « prestation en nature-corvée des routes ».

Georges Vayrou

De Semur (en-Auxois) à Déville (lès-Rouen) et de Blanco en Martinie : grandeur et décadence d'une exception juridique française (réflexions sur quatre jurisprudences)

La découverte, dans les archives municipales de Semur-en-Auxois, d'un arrêt du Conseil d'État illustrant la fameuse « querelle des gaziers et des électriciens » d'une part, et un récent arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme d'autre part, qui n'ont à première vue aucun point commun entre eux, sont à l'origine de cet article. Deux grands arrêts de la jurisprudence administrative permettent de faire le lien et d'apporter une modeste (et originale ?) contribution à l'étude des récentes évolutions du droit public, « exception juridique française ». « La notion de service public, les formes qu'il revêt aujourd'hui, les valeurs qu'il porte sont le fruit d'un développement historique de longue durée ». Grandeur du droit public français, à la charnière des xixe et xxe siècles, quand il conceptualise un « compromis républicain » entre libéralisme politique d'une part et interventionnisme de l'État-providence, puis patron... sans parler du « socialisme municipal », d'autre part. Puis, lente mais certaine décadence, à la charnière des xxe et xxie siècles, en particulier quand la construction européenne sous influence néo-libérale soumet l'essentiel de l'action publique au Code civil, lui niant toute spécificité.

From Semur (in Auxois) to Deville (lès Rouen) and from Blanco to Martinie: The Grandeur and Decadence of a French Legal Exception (Reflections on four jurisprudences)

The discovery, in the municipal archives of Semur-en-Auxois, of a decision of Conseil d'État illustrating the famous "gasmen and electricians quarrel", on the one hand, and a recent decision of the European Court of Human Rights, on the other, which have at first sight nothing in common, are at the origin of this article. Two great decisions of administrative jurisprudence allow us to make the connection and to bring a modest (and original?) contribution to the study of recent evolutions in Public Law, that is, a "French legal exception". "The notion of public service, in the form it takes today and with the values it carries, is the result of a long-term historical development". This is the greatness of French public law, which at the turn of the 20th century conceptualized a "Republican compromise" between political liberalism, intervention of the welfare state, and then state as an employer, not to mention of "municipal socialism". Then, a slow but certain decline followed, at the turn of the 21st century, and particularly when the neo-liberal influence of European construction subjugated the core of public action to the Code Civil, negating all its specificity.

Pierre Bodineau

Une trilogie prometteuse à la Faculté de droit de Dijon au début de la Troisième République

La faculté de droit de Dijon a bénéficié dans les vingt dernières années du xixe siècle et les années d'avant-guerre de la présence et du rayonnement de trois enseignants exceptionnels : le beaunois Raymond Saleilles, à la fois historien et civiliste, fut le pionnier du droit comparé, le créateur de la Revue trimestrielle de droit civil en 1902 et l'auteur d'une abondante production scientifique. François Gény était un lorrain qui passera onze années à Dijon avant de retrouver sa chère ville de Nancy où il poursuivra une longue carrière de professeur puis de doyen. Maurice Deslandres fait, lui, toute sa carrière à Dijon où il enseigne surtout le droit constitutionnel. Juristes engagés, ces trois universitaires ont tous les trois contribué à remettre en cause la « pensée juridique unique » et à faire avancer le progrès social.

A Promising Trilogy at the Faculty of Law in Dijon at the Beginning of the Third Republic

The Faculty of Law in Dijon has benefited in the last twenty years of the nineteenth century and in the years before the war of the presence and influence of three outstanding teachers: Raymond Saleilles, from Beaune, both a historian and a specialist in civil law, was the pioneer of comparative law, the founder of the Quarterly Review of Civil Law in 1902 and the author of an extensive scientific body of work; François Gény was from Lorraine and spent eleven years at Dijon before returning to his beloved town of Nancy where he would pursue a long career of professor and dean; Maurice Deslandres did his entire career in Dijon where he taught constitutional law in particular. All committed lawyers, these three scholars have contributed to questioning the "unique legal thinking" and to advancing social progress.

Pierre Ponsot

Une succession disputée. Seigneur et paysans en Bresse, l'échute du meix Badel à Montpont au XVIe siècle

Un procès suivi d'une transaction entre un seigneur de la paroisse de Montpont, en Bresse bourguignonne, près de Louhans, et les tenanciers d'un meix, mainmortables vivant en communion, au xvie siècle, apporte un éclairage sur plusieurs aspects des rapports sociaux en milieu rural. D'abord sur le droit d'échute du seigneur, interprété par les parties en fonction du droit dont ils se réclament, la coutume de Bourgogne ou le droit écrit. Ensuite sur les politiques et pratiques matrimoniales des paysans, visant à perpétuer dans la suite des générations la possession d'un domaine par un lignage, dans le contexte d'un régime de propriété complexe. Enfin sur les relations entre le seigneur et ses censitaires, à la fois conflictuelles et contractuelles, chacun suivant une stratégie à long terme.

A Disputed Succession. Lord and Peasants in Bresse, the échute of the meix Badel in Montpont in the Sixteenth Century

A trial followed by a transaction between a lord of the Montpont parish in Burgundian Bresse, near Louhans, and the tenants of a meix (farmhouse), subjects to mortmain living in commune, in the sixteenth century, sheds light on several aspects of social relationships in rural areas: First on the échute right of the lord, interpreted by the parties according to the rules of the laws by which they claimed to be governed, the custom of Burgundy, or written law; Then on the matrimonial policies and practices of the peasants, which aimed to hereditarily perpetrate through successive generations the possession of an estate, within the context of a complex system of ownership; Finally the relationship between the lord and his tenants, both contractual and conflictual, each of whom was guided by long-term strategy.