Société pour l'Histoire du Droit et des institutions des anciens pays bourguignons, comtois et romands
Tome 64 (2007) : résumés des articles
- Pierre Gresser : Les limites de la centralisation administrative des comtes de Bourgogne aux XIVe et XVe siècles : le cas des eaux et forêts princières en Franche-Comté
- Henri Dubois : Impulsion centrale et décision locale à la Grande Saunerie de Salins au XVe siècle (1466-1479)
- Clémence Thévenaz Modestin : Chillon : centre régional ou châtellenie périphérique ? (XIIIe-XIVe siècle)
- Georg Modestin : Un inquisiteur pour trois diocèses : le couvent dominicain de Lausanne et la répression de la sorcellerie en Suisse romande au XVe siècle
- Marie-Thérèse Guignard : Une province temporairement détachée du duché de Savoie : le douaire de Marguerite d'Autriche sur le pays de Vaud
- Patrick Arabeyre : Union ou incorporation ? Languedoc et Bourgogne dans le royaume de France selon quelques juristes du XVIe siècle.
- Fabrice Hoarau : Fénelon et l'organisation administrative de la monarchie
- Georges Cuer : Pouvoir central et pouvoirs locaux sous Louis XIV : le cas du gouvernement des provinces de Lyonnais, Forez et Beaujolais
- Pierre Bodineau : La politique « culturelle » de Bourgogne à la fin de l'Ancien Régime
- Sébastien Evrard : Centralisation normative ou libertés provinciales ? L'intendant Amelot, les contraintes solidaires et la jurisprudence du Conseil d'État (1775-1788)
- Marie-Thérèse Allemand-Gay : Les prémisses de la provincialisation en Lorraine à la veille de la Révolution
- Jean Bart : Les critiques de l'administration locale dans les cahiers de doléances bourguignons et comtois
- Hugues Richard : Centralisation municipale et centralisation républicaine : la municipalité de canton d'Arnay-sur-Arroux (1795-1800)
- Karen Fiorentino : L'adéquation entre Chambre des pairs et décentralisation sous la monarchie de Juillet
- Jean Gay : Le régime municipal au XIXe siècle (de l'an VIII à 1884)
- Yves Le Roy et Marie-Bernadette Schoenenberger : La Constitution des États-Unis, une des sources de la Constitution fédérale suisse de 1848
- Cédric Pignat : Un canton en lutte contre les autorités fédérales : la bataille du vin
- Edwin Matutano : La communauté de travail du Jura : un exemple de coopération transfrontalière entre collectivités territoriales
Pierre Gresser
Les limites de la centralisation administrative des comtes de Bourgogne aux XIVe et XVe siècles : le cas des eaux et forêts princières en Franche-Comté
Aux xive et xve siècles, les comtes de Bourgogne cherchèrent à développer la rentabilité de leur domaine, c'est-à-dire les biens et les droits dont ils étaient propriétaires en Franche-Comté. Pour ce faire, ils créèrent trois trésoreries (Vesoul, Dole et Salins), mais aussi une administration spéciale pour les eaux et forêts (la gruerie). Théoriquement, celle-ci aurait dû centraliser les recettes et les dépenses des rivières, lacs, étangs et bois domaniaux. Or une partie de la comptabilité des eaux et forêts échappa à la nouvelle institution et se trouve dans les comptes des trésoriers de Dole et de Vesoul, voire dans les registres de receveurs particuliers, qui ne dépendaient pas des trésoriers de Dole et Vesoul et rendaient leur gestion directement à la Chambre des comptes de Dijon.
The limits of the administrative centralization of the Counts of Burgundy in the fourteenth and fifteenth centuries : the case of the princely waters and forests of Franche-Comté
During the fourteenth and fifteenth centuries, the Counts of Burgundy tried to develop the profitability of their domain, i.e., the property and the rights that they possessed in Franche-Comté. In order to do so, they created three treasuries (Vesoul, Dole and Salins) as well as a special forestry commission (la gruerie). Theoretically, the latter should have centralized the revenue and expenditures of the rivers, lakes, ponds and woods of the domain. However, part of the accounts of the waters and forests was not included in this new institution and was to be found in the accounts of the treasuries of Dole and Vesoul, or even in the registers of particular collectors who were not answerable to the treasuries of Dole and Vesoul but were directly responsible to the Chamber of Accounts in Dijon.
Henri Dubois
Impulsion centrale et décision locale à la Grande Saunerie de Salins au XVe siècle (1466-1479)
À l'époque des ducs Valois, la Grande Saunerie de Salins était à la fois une entreprise industrielle et un rouage important des finances bourguignonnes. Les officiers qui la dirigeaient collectivement jouissaient sur place d'une large autonomie et d'un pouvoir de décision dans les domaines de l'industrie, du commerce et de la réglementation. Mais ils maintenaient avec le souverain un contact direct pour les questions échappant à leur compétence. Le souverain décidait en matière de provision d'offices (souvent après consultation). Il octroyait dons de sel et faveurs et en réservait les mesures d'ordre général de la conception d'une politique du sel. Parallèlement, le président et les gens du conseil et des comptes résidant à Dijon concluaient les marchés de fourniture de sel au royaume, intervenaient dans les affaires touchant de près l'intérêt financier et politique du prince et veillaient à l'application des décisions ducales. Ils le faisaient dans un esprit de collaboration et de consultation réciproque avec les officiers de la Saunerie. Entre ces trois sièges de l'autorité existait donc un équilibre subtil des compétences, sans domination autoritaire de l'un ou de l'autre.
Impetus from the central government and local decisions at Grande Saunerie in Salins during the fifteenth century (1466-1479)
At the time of the dukes of Valois, Grande Saunerie in Salins was both an industry and an important part of Burgundian finances. The officers who collectively managed it had great autonomy and decision-making power on the spot in the realms of industry, commerce and regulations. But they maintained close direct ties with the sovereign concerning matters that did not come within their scope of activities. The sovereign made the decisions concerning the supplying of offices (often after consultation). He granted gifts of salt and favors and reserved the general measures of the creation of a salt policy for himself. In the same way, the president and personnel of the council and those of the accounts situated in Dijon concluded markets for supplying salt to the kingdom, intervened in business closely related to the financial and political interests of the prince and were vigilant about the implementation of ducal orders. They did this in a spirit of collaboration and reciprocal consultation with the officers of the Saltworks. Among these three axes of power there thus existed a subtle balance of their spheres of activities in which none of them dominated the others in an authoritarian manner.
Clémence Thévenaz Modestin
Chillon : centre régional ou châtellenie périphérique ? (XIIIe-XIVe siècle)
La châtellenie de Chillon, une châtellenie savoyarde de la Suisse romande actuelle, se prête bien à un questionnement autour de la thématique « Centralisation et décentralisation ». Elle est un centre régional en tant que siège habituel du bailli du Chablais. Pourtant, on s'aperçoit qu'à la fin du xiiie et au début du xive siècle le bailli du Chablais n'est pas automatiquement châtelain de Chillon. En outre, Chillon, même quand elle est siège du bailli, est en même temps une simple châtellenie dont la comptabilité est vérifiée par des fonctionnaires centraux, soit sur place soit à Chambéry. Contrairement aux châtellenies d'autres bailliages savoyards, les comptes chablaisiens, dont ceux de Chillon, sont souvent vérifiés sur place, et ceci même après l'achat du château de Chambéry pour y installer les fonctionnaires responsables de cette activité en 1295. Sur le plan financier, le châtelain de Chillon rassemble à la fin du xiiie siècle un certain nombre de recettes provenant d'autres fonctionnaires savoyards de la région (péagers de Villeneuve et de Saint-Maurice, châtelains voisins). Il perd cette fonction à partir des années 1310 au profit du receveur du Chablais, dont l'apparition, que l'on fixait jusqu'ici à 1343, peut être avancée aux années 1310-1314. Le début du xive siècle s'avère donc être une période-charnière pour le bailliage du Chablais, dont le centre se fixe à Chillon dans les années 1330 : il jouit d'une certaine autonomie administrative, avec la fonction de receveur du Chablais, la possibilité de rendre les comptabilités sur place, etc. Ce n'est qu'à partir du milieu du xive siècle, en particulier suite à l'ordonnance de 1351 créant officiellement la Chambre des comptes savoyarde, que le Chablais est intégré plus complètement dans les institutions centrales du comté de Savoie.
Chillon : a regional center or a castellany on the outskirts?
The castellany of Chillon, a Savoyard castellany in present-day French-speaking Switzerland, lends itself well to a study on the subject "Centralization and decentralization". It was a regional center since it was the customary seat of the bailiff of Chablais. Yet, it can be noticed that in the late thirteenth century and the early fourteenth century the bailiff of Chablais was not automatically the castellan of Chillon. Furthermore, Chillon, even when it was the seat of the bailiff, was at the same time a simple castellany whose accounts were audited by officials of the central government, either on the spot or in Chambéry. Unlike the castellanies of other bailiwicks in Savoy, the accounts of Chablais, including those of Chillon, were often audited on the spot; this was the case even after the purchase in 1295 of the castle of Chambéry for the purpose of housing the officials in charge of this task. Financially speaking, in the late thirteenth century the castellan of Chillon collected a certain amount of revenue from other Savoyard officials in the region (toll booths in Villeneuve and Saint-Maurice, neighboring castellanies). He lost this duty from 1310 onwards to the tax collector in Chablais whose appearance, that had been set until now at 1343, can be advanced to somewhere between 1310 and 1314. The early fourteenth century thus proved to be a transition period for the bailiwick of Chablais, whose center was established in Chillon in the 1330's: it enjoyed a certain administrative independence, with the duties of tax collector in Chablais, by being able have its accounts done on the spot, etc. It is only from the mid-fourteenth century onwards, particularly after the edict of 1351 which officially created the Chamber of the accounts of Savoy, that Chablais was more completely integrated into the central institutions of the county of Savoy.
Georg Modestin
Un inquisiteur pour trois diocèses : le couvent dominicain de Lausanne et la répression de la sorcellerie en Suisse romande au XVe siècle
Les trois diocèses romands de Lausanne, Genève et Sion étaient au xve siècle soumis à un tribunal d'inquisition bicéphale, présidé par l'inquisiteur en charge dans l'ensemble des trois circonscriptions ecclésiastiques et à un représentant de l'évêque concerné. À quelques exceptions près, les inquisiteurs provenaient tous du couvent dominicain de la Madeleine à Lausanne, qui s'établit comme véritable centre de l'inquisition romande. Ce n'est qu'au tournant du xvie siècle qu'une inquisition proprement « genevoise » s'en détacha. La centralisation de l'inquisition en Suisse romande avait cependant ses limites, dans la mesure où le tribunal était itinérant, sujet au bon vouloir des seigneurs prêts ou non à l'accueillir. Ainsi, l'évêque de Sion semble, suite à sa conquête du Bas-Valais savoyard dans les années 1475-1476, avoir barré l'accès aux inquisiteurs lausannois dans les terres en question, où ils avaient pourtant été tolérés auparavant.
An inquisitor for three dioceses : the Dominican convent in Lausanne and the crackdown on witchcraft in French-speaking Switzerland in the fifteenth century.
In the fifteenth century the three French-speaking dioceses of Lausanne, Geneva and Sion were subject to a two-headed inquisition court, presided over by the inquisitor in charge of the whole of the three ecclesiastical districts as well as by a representative of the bishop concerned. With very few exceptions, the inquisitors came from the Dominican convent of the Madeleine in Lausanne, which established itself as the true center of the inquisition in French-speaking Switzerland. It was only at the turn of the sixteenth century that a strictly Genevan inquisition turned away from it. The centralization of the inquisition in French-speaking Switzerland, however, had its limits, insofar as the court was itinerant and depended on the willingness of the lords to accommodate it. Thus, the bishop of Sion, following his conquest of the Bas-Valais in Savoie between 1475 and 1476, seemed to have blocked access to the inquisitors from Lausanne to the region in question, where their presence had previously been tolerated.
Marie-Thérèse Guignard
Une province temporairement détachée du duché de Savoie : le douaire de Marguerite d'Autriche sur le pays de Vaud
Fille de l'empereur germanique Maximilien et de Marie de Bourgogne, Marguerite d'Autriche exerça la régence des Pays-Bas durant la minorité de son neveu le futur Charles Quint. Elle s'illustra dans la négociation des plus importants traités diplomatiques européens du début du xvie siècle. On la connaît également pour son rôle de mécène et de bibliophile. Mais on connaît moins le rôle qu'elle a joué dans l'histoire du pays de Vaud. Elle avait hérité, à la mort de son dernier époux, Philibert le Beau, d'un douaire savoyard qui comprenait notamment le pays de Vaud, et à propos duquel elle fut jusqu'à sa mort, en 1530, en conflit avec le nouveau duc Charles III. Un traité, signé à Strasbourg en 1505 sous l'égide de Maximilien, étendit considérablement les droits de Marguerite sur le pays de Vaud. Mais de son côté, Charles III pouvait se prévaloir du traité de paix entre la maison de Savoie et les cantons suisses, qui soumettait la restitution du pays de Vaud à la Savoie à la condition qu'il ne soit plus gouverné par un autre prince que le duc régnant. L'étude cherche à déterminer dans quelle mesure Marguerite a pu exercer ses droits et si le Pays de Vaud a été durant cette période détaché du duché de Savoie.
A province temporarily separated from the Duchy of Savoy: the dower of Marguerite of Austria on the land of Vaud.
The daughter of the Germanic emperor Maximilian and Marie of Burgundy, Marguerite of Austria, was regent over the Netherlands as long as the future Charles the Fifth was underage. She was renowned for negotiating the most important European diplomatic treaties of the early sixteenth century. She was also known for her role as a patron and a bibliophile. But she is less well known for the role she played in the history of the land of Vaud. At the death of her last husband, Philibert le Beau, she had inherited a Savoyard dower which included notably the land of Vaud, over which she was in conflict with the new duke Charles III until her death in 1530. A treaty signed in Strasbourg in 1505 under the aegis of Maximilian, considerably increased the rights of Marguerite over the land of Vaud. But as far as Charles III was concerned, he was able to take advantage of the peace treaty between the house of Savoy and the Swiss cantons, under which the restitution of the land of Vaud to Savoy was subject to the condition that it should no longer be governed by a prince other than the reigning duke. This study tries to determine to what extent Marguerite was able to exercise her rights and if the land of Vaud was separated from the duchy of Savoy during this period.
Patrick Arabeyre
Union ou incorporation ? Languedoc et Bourgogne dans le royaume de France selon quelques juristes du XVIe siècle.
Le propos de cet article a pour toile de fond le mouvement de rattachement des grandes provinces au domaine royal et la définition du statut juridique qui leur a été attribué. Autrement dit, comment la place de ces différentes provinces a-t-elle été comprise par les juristes du temps ? La réflexion s'organise autour de la lecture et du commentaire de quelques auteurs, en particulier Guillaume Benoît, René Choppin et quelques autres domanialistes du xvie siècle, s'agissant du cas de la Bourgogne ducale et du Languedoc. Dans ce dernier cas, Guillaume Benoît avait mis au point au xve siècle, moment crucial de la formation du domaine, une forgerie — l'union sans incorporation — dont l'exemple lui avait été à l'évidence soufflé par ce qui avait pu constituer aux yeux des contemporains comme des « contrats » d'union avec d'autres provinces, parce qu'il lui paraissait impossible que le Languedoc n'en ait pas été pourvu. Cette construction ne semble pas improbable à maints juristes préoccupés par la question domaniale, tel René Choppin ou Pierre de Belloy, mais ces mêmes auteurs, qui admettent donc pour le Languedoc qu'il n'y ait pas eu incorporation, ne l'admettent en rien pour la Bourgogne. La différence est tout simplement que la Bourgogne est et demeure, pour reprendre les expressions de Choppin, un patrimonium publicum. La Bourgogne ducale a été acquise, à titre gratuit, par des moyens relevant exclusivement du droit privé, ce qui justifie au premier chef le passage immédiat du domaine privé du roi à celui de la Couronne. Ce ne pouvait être nullement le cas du Languedoc, type parfait d'union par conquête qui ouvrait la voie à l'idée d'un contrat concédant la garantie des privilèges.
Union or Incorporation? Languedoc and Burgundy in the kingdom according to a few sixteenth-century jurists
The subject of this article has as a backdrop the movement of uniting the large provinces to the royal domain and the definition of the legal status that was attributed to them. In other words, how was the situation of the different provinces understood by the jurists of that time ? These thoughts have been organized around the reading and commentary of a few authors, particularly Guillaume Benoît, René Choppin and a few other sixteenth-century domain specialists and concern ducal Burgundy and Languedoc. As regards the latter, Guillaume Benoît had focused, in the fifteenth-century, a time that was crucial to the forming of the domain, on a forgerie — union without incorporation — whose example had evidently been inspired to him by what his contemporaries had come to see as "contracts" of union with other provinces, because it seemed impossible to him that Languedoc had not been provided with one. This hypothesis does not seem improbable to many a jurist concerned with the question of domain, such as René Choppin or Pierre de Belloy, even if these same authors, who did admit that for Languedoc there had been no incorporation, admitted no such thing for Burgundy. The difference is quite simply that Burgundy was, and remains, to use the expression of Choppin, a patrimonium publicum. Ducal Burgundy had been acquired free of charge through means that exclusively fell under private law, which greatly justified its immediate transfer from the private domain of the king to that of the Crown. This could not at all have been the case for Languedoc, the perfect type of union through conquest which opened the door to the idea of a contract granting that the privileges should be guaranteed.
Fabrice Hoarau
Fénelon et l'organisation administrative de la monarchie
Fénelon fut un des plus ardents opposants à l'absolutisme monarchique tel qu'il était incarné par Louis XIV. Cette opposition l'amena à s'interroger sur le modèle politique qui pouvait lui être substitué. On ne s'étonnera donc pas que le précepteur se soit intéressé aux questions administratives. Si cet intérêt fut assez précoce, c'est véritablement au moment où s'accumulent les problèmes militaires consécutifs à la guerre de succession d'Espagne que Fénelon décide de présenter un certain nombre de propositions concrètes sur la question : la plupart sont insérées dans les fameuses Tables de Chaulnes. Si ses propositions ne sont pas foncièrement novatrices, ni a fortiori révolutionnaires, elles condamnent sans ambiguïté les pratiques administratives de la monarchie ; l'archevêque y recommande notamment un accroissement important du rôle des États provinciaux et surtout des États généraux ; il entend leur reconnaître un réel pouvoir de décision, même si sa position s'explique sans doute moins par son respect des « libertés locales » que par son souci d'enraciner l'influence d'une noblesse dont il défendit toujours les intérêts.
Fénelon and the administrative organization of the monarchy
Fénelon was one of the most fervent opponents of the absolute monarchy as it was personified by Louis XIV. This opposition brought him to ponder over what political system could replace it. It should thus come as no surprise that the preceptor should be interested in the administrative aspects. If this interest was rather premature, it was at the time when military problems resulting from the Spanish Succession War were accumulating that Fénelon decided to suggest quite a few concrete ideas concerning this matter, most of which were included in the famous Tables de Chaulnes. If his proposals were not fundamentally innovative, nor a fortiori revolutionary, they unequivocally condemned the administrative practices of the monarchy. The archbishop therein recommended notably a great increase in the role played by the Etats provinciaux and especially the Etats généraux : he meant to recognize their real decision-making power, even if his position could no doubt be explained less by his respect of "local freedoms" than by his concern to implant the influence of a nobility whose interests he always defende.
Georges Cuer
Pouvoir central et pouvoirs locaux sous Louis XIV : le cas du gouvernement des provinces de Lyonnais, Forez et Beaujolais
Les relations entre pouvoir central et pouvoirs locaux sous le règne de Louis XIV sont loin d'être connues province par province. Le cas particulier du Lyonnais pendant cette période permet, sur plusieurs exemples précis, de nuancer une vision un peu simpliste, héritée de l'historiographie du xixe siècle. Cette vision, qui est reconduite sans nuance dans certains manuels d'histoire des institutions, veut que la mainmise de l'intendant sur les affaires locales ait été très rapidement affirmée, et que le rôle du gouverneur de la province se soit alors définitivement effacé, le réduisant aux proportions d'un grand seigneur voué au domaine de la représentation et de l'apparat. En réalité, chaque province avait ses particularités, et en ce qui concerne le gouvernement du Lyonnais, Forez et Beaujolais, il importe de savoir qu'il resta pendant près de deux siècles, de 1612 à la fin de l'Ancien Régime, dans les mains de la puissante famille des Neufville-Villeroy. Celle-ci est représentée pendant la période qui nous intéresse par François de Neufville de Villeroy, deuxième maréchal de Villeroy et ami d'enfance de Louis XIV. Dès lors, et même en cette période tardive, le rôle de l'intendant se trouve singulièrement compliqué et limité, en particulier lorsqu'il s'agit de contrôler les affaires de la Ville de Lyon, où le gouverneur place et protège nombre de « créatures ». Dans une grande ville marchande sans Université ni Parlement, le rôle du Consulat lyonnais est évidemment capital. Plusieurs affaires montrent la complexité des relations ainsi entretenues avec un pouvoir central qui ne cesse d'accroître la pression fiscale qu'il exerce, mais non nécessairement son autorité directe, du moins dans ce cas particulier.
The central power and local powers under Louis XIV: the case of the governments of the provinces of Lyons, Forez and Beaujolais
The relations between the central power and local powers from province to province during the reign of Louis XIV are far from being well-known. The special case of the Lyonnais during this period allows us, from several precise examples, to nuance a rather simplistic view handed down from nineteenth-century historiography. This view, reproduced with no nuances in some manuals on French institutions, claimed that the control of local affairs by the intendant was very rapidly asserted, thus permanently weakening the role of the provincial governor and consequently reducing him to the level of a high lord devoted to the realm of representation and ceremony. In reality, each province had its distinctive features. As far as the government of the Lyonnais, Forez and Beaujolais is concerned, it is important to note that it remained for nearly two centuries, from 1612 to the end of the Ancien Régime, in the hands of the powerful Neufville-Villeroy family, which was represented during this period by François de Neufville de Villeroy, the second marshal of Villeroy and a childhood friend of Louis XIV. From then on, and even in this late period, the role of the intendant was extremely complicated and limited, particularly when it was a matter of controlling the business of the City of Lyons, where the governor placed and protected a number of "creatures." In a large market city with neither university nor parlement, the role of the Consulate of Lyons was obviously of capital importance. Several cases showed the complexity of the relations thus maintained with a central power which kept increasing the tax pressure that it exerted, but not necessarily its direct authority, at least in this particular situation.
Pierre Bodineau
La politique « culturelle » de Bourgogne à la fin de l'Ancien Régime
Dans le cadre d'une réflexion plus générale sur la « décentralisation culturelle » conduite en France depuis plusieurs années, l'auteur présente différentes interventions des États provinciaux ayant pour objectif l'encouragement aux sciences, aux arts et aux lettres : il s'agit en premier lieu de conserver le patrimoine archéologique, artistique, scientifique de la province : médailles anciennes découvertes sur les chantiers de travaux publics, bibliothèques et cabinets d'histoire naturelle qu'on ne souhaite pas disperser ; en second lieu, les États soutiennent l'édition et la diffusion d'ouvrages « utiles à la province » et qui peuvent aussi bien concerner son histoire, la description de son territoire, que des sujets à caractère médical, économique et social comme ces travaux sur les fièvres malignes du docteur Fournier ou « le Catéchisme des asphyxiés ». Enfin, les États financent des cours publics et gratuits dans différentes disciplines : anatomie, à destination des élèves de l'école de dessin et aux futurs chirurgiens ; suivent des cours de chimie, de botanique, d'astronomie, prenant appui sur l'observatoire installé dans la tour du Palais du roi. Mais tous les projets n'aboutissent pas, comme le montre l'échec d'un cours d'architecture et de construction imaginé par Maret. Pour mettre en œuvre ces actions de politique culturelle, les États utilisent la formule classique de la subvention destinée à l'achat de matériel scientifique, d'ouvrages ou permettant d'assurer le fonctionnement régulier d'un cours ou d'un service. Les États aident aussi les artistes en leur passant commande d'œuvres utiles à leur rayonnement. Ils utilisent de plus en plus les services de la jeune Académie des sciences, arts et belles-lettres de Dijon qui pourra garantir la qualité des cours publics et en organiser la bonne marche. Cette politique d'encouragement au développement scientifique et culturel est soutenue par l'intendant et s'inscrit naturellement dans l'esprit des Lumières.
The Burgundian "cultural" policy at the end of the Ancien Régime
Within the scope of a more general study on "cultural decentralization" which has been conducted in France for the past few years, the author presents different interventions of the États provinciaux whose aim was to encourage sciences, arts and letters. Firstly, it was a question of preserving the archeological, artistic and scientific heritage of the province: ancient medals discovered on sites of public works, libraries and collections of natural history that the governments wanted to be kept intact. Secondly, the Estates supported the publication and distribution of works "useful to the province," which could just as easily have concerned its history, the description of its territory, as they could have been of a medical, economic or social nature such as the works on malignant fever of doctor Fournier or "le Catéchisme des asphyxiés". Lastly, the Estates financed free classes open to the general public in different disciplines: anatomy, intended to be taught to students of art school or future surgeons, chemistry, botany, astronomy which made use of the observatory set up in the tower of the Palais du roi. But all of the projects were not successful; as can be seen in the failure of a course in architecture and construction created by Maret. In order to implement these actions of their cultural policy, the Estates used the usual method of subsidies intended for the purchase of scientific equipment, of works, or which allowed a class or an organism to function in a regular manner. The Estates also helped artists by ordering works useful to their influence. They used more and more often the services of the new Academy of Sciences, Arts and Fine letters of Dijon which could guarantee the quality of the public classes and assure the smooth running of their organization. This policy of encouraging scientific and cultural development was supported by the intendant and naturally came within the scope of the spirit of Enlightenment.
Sébastien Evrard
Centralisation normative ou libertés provinciales ? L'intendant Amelot, les contraintes solidaires et la jurisprudence du Conseil d'État (1775-1788)
Dans tout État, le fisc constitue l'un des piliers de l'action publique et c'est pourquoi son action s'accompagne de prérogatives fortes et, chemin faisant, parfois décriées. Dans l'ancien droit, il en était de même et le pouvoir de l'administration fiscale de contraindre solidairement une communauté d'habitants à payer l'impôt l'illustre. Or, sous l'égide du contrôleur général des finances Turgot, une norme royale (une déclaration du roi du 3 janvier 1775) abroge ce qu'il est convenu d'appeler les « contraintes solidaires ». Mais contre toute attente, la Bourgogne, se retranchant sur ses privilèges juridiques et fiscaux, rejette cette abrogation. Sa position de refus — et donc de particularisme — est alors défendue par l'intendant de la généralité. Ce dernier, Amelot de Chaillou, représentant du roi dans la province, s'appuie sur des arguments de fait et de droit pour étayer sa position. En fin de compte, il appartient au Conseil du roi de trancher ce conflit. C'est en 1785 que la haute juridiction, en usant de son pouvoir de cassation à l'encontre des ordonnances rendues par le commissaire départi Amelot, confirme la supériorité de la norme royale sur les privilèges des provinces. Ce faisant, cette affaire illustre le lent déclin des privilèges collectifs et individuels devant la montée inexorable de l'État moderne. Ceci démontre, une fois de plus, le rôle majeur du Conseil par l'intermédiaire de sa jurisprudence et dans la protection des intérêts individuels, et dans la création d'un véritable État de droit à la fin de la monarchie d'Ancien Régime.
Normative centralization or provincial freedoms? Intendant Amelot, joint constraints and the jurisprudence of the Conseil d'Etat (1775-1788)
In any country, the fisc constitutes one of the pillars of public action. That is the reason why its action is accompanied by strong and, consequently, at times discredited prerogatives. In the ancient law, the situation was the same, and the power of the Tax Administration to constrain a community jointly to pay taxes illustrates this point. However, under the aegis of "Contrôleur General" Turgot, a royal regulation (a declaration of the king on 3 January 1775) abrogated what can conventionally be called "joint constraints." But, much to everyone's surprise, Burgundy, taking refuge behind its legal and fiscal privileges, rejected this abrogation. This stance of refusal, and thus of regional identity, was defended at the time by Intendant Amelot de Chaillou. This representative of the king in the province used de facto and legal arguments in order to support his position. Finally, it was up to the King's Council to settle this difference. It was in 1785 that the high court, through its power of cassation against the rulings rendered by "Commissaire départi" Amelot, confirmed the superiority of royal regulations over the privileges of the provinces. And at the same time, this affair illustrates the slow decline of collective and individual privileges in view of the inexorable rise of the modern State. This again shows the major role of the Council through the intermediary of its jurisprudence as well as in the protection of individual interests and in the creation of a true State of law during end of the monarchy of the Ancien Régime.
Marie-Thérèse Allemand-Gay
Les prémisses de la provincialisation en Lorraine à la veille de la Révolution
Au cours des siècles, la monarchie s'efforce d'imposer sa tutelle aux différentes circonscriptions territoriales. Cependant, à partir de la fin du xviiie siècle, l'opinion est de plus en plus favorable au développement d'une certaine représentation des provinces. Des essais sont tentés localement ; mais en 1787, un véritable projet d'assemblées provinciales voit le jour dans les provinces dépourvues d'états provinciaux. Les membres de ces assemblées provinciales appartiennent aux trois ordres sur la base du doublement du tiers état. Elles ont en charge la répartition et l'assiette de l'impôt. La Lorraine participe à cette réforme, mais elle bénéficie d'une situation particulière car le roi l'a laissée libre de rédiger son propre règlement, faveur qui aurait pu l'amener à émettre des revendications particulières, passées sous silence dans les textes généraux ou les règlements particuliers à chaque province. En réalité, les Lorrains modérés ou prudents se bornent à formuler de timides sous-entendus en matière fiscale, largement éclipsés par les vibrants hommages adressés au roi et le respect fortement exprimé pour les privilèges des clercs et nobles.
The premises of provincialization in Lorraine at the eve of the French Revolution
Down through the centuries, the monarchy endeavored to impose its supervision on the different territorial areas. However, from the late eighteenth century onwards, public opinion was more and more favorable to the establishment of a certain provincial representation. Attempts were made at the local level; but in 1787 a real plan for provincial assemblies came into being in the provinces without provincial estates. The members of these provincial assemblies belonged to the three orders on the basis of the doubling of the third estate. They had the responsibility of tax assessment and the tax base. Lorraine participated in this reform, but it had the advantage of a special status since the king left it free to draw up its own regulations, a favor that could have brought it to express special claims, which were passed over in silence in the general texts or the special regulations of each province. In reality, the moderate or cautious inhabitants of Lorraine limited themselves to expressing timid insinuations concerning taxes, which were widely overshadowed by the vibrant tributes addressed to the king and the strongly expressed respect for the privileges of the clergy and the nobility.
Jean Bart
Les critiques de l'administration locale dans les cahiers de doléances bourguignons et comtois
La comparaison entre les aspirations des Comtois et des Bourguignons, telles qu'elles s'expriment au printemps de 1789, s'impose puisque les deux provinces n'étaient pas soumises au même régime administratif, l'une étant « pays d'imposition », l'autre « pays d'états ». De fait, les critiques à l'égard de chacun de ces deux types divergent quelque peu. En revanche, pour ce qui concerne les projets de réforme, on peut percevoir entre les cahiers rédigés de part et d'autre de la Saône, des points de convergences, en particulier le souhait que tous ceux qui, localement, exercent quelque prérogative au nom du souverain soient élus, de manière plus ou moins démocratique. Reste que l'on chercherait vainement, aussi bien dans les uns que dans les autres, la revendication d'une large autonomie.
The criticisms of the local government in the "cahiers de doléances" in Burgundy and Franche-Comté
The comparison between the desires of the people from Franche-Comté and of Burgundy, as they were expressed in the spring of 1789, is essential since the two provinces were not subject to the same regulations, one being a "pays d'imposition" and the other a "pays d'états." In fact, the criticisms of each of these two systems differ somewhat. However, concerning plans for reform, we can notice convergences among the cahiers on both sides of the Saône River, particularly the wish that all those who locally carry out any prerogative in the name of the sovereign should be elected in a more or less democratic fashion. The fact remains that it would be of no avail, as much on the one hand as on the other, to try to find demands for great autonomy.
Hugues Richard
Centralisation municipale et centralisation républicaine : la municipalité de canton d'Arnay-sur-Arroux (1795-1800)
En France existe toujours une administration municipale dans chaque commune, ville ou modeste village. Par exception dans l'histoire, la période dite du Directoire a connu le regroupement des communes les moins peuplées en municipalités de canton, en vertu de la constitution de l'an III. Des archives particulièrement bien conservées ont permis d'étudier le fonctionnement de celle d'Arnay-le-Duc, rebaptisé Arnay-sur-Arroux à l'époque révolutionnaire, qui réunissait 14 communes. On peut constater le phénomène de centralisation municipale, car l'administration municipale du canton remplace les anciennes municipalités. Les différentes communes conservent, toutefois, une existence propre. Cette municipalité de canton est aussi un rouage de la centralisation républicaine. Elle assure, sous l'autorité de l'administration départementale, les tâches d'administration générale dans son territoire : réquisitions, levée des contributions, politique antireligieuse...
Municipal centralization and republican centralization: the canton municipality of Arnay-sur-Arroux (1795-1800)
In France there has always been a municipal government in each commune, town or modest village, with the exception in history of the period called the Directoire in which the less populated communes were grouped together in canton municipalities in compliance with the constitution of year III. Particularly well conserved records have permitted a study of the working of that of Arnay-le-Duc, renamed Arnay-sur-Arroux at the time of the Revolution, which brought together 14 communes. The phenomenon of municipal centralization can be observed since the municipal government of the canton replaced the former municipalities. The different communes, however, remained in existence. This canton municipality was also a cog in republican centralization. It carried out, under the departmental government, general government work within its boundaries: requisitioning, levying taxes, antireligious policy...
Karen Fiorentino
L'adéquation entre Chambre des pairs et décentralisation sous la monarchie de Juillet
La Chambre des pairs, sous la Monarchie de Juillet, présente un caractère original dû à la compromission dont elle a fait l'objet, lors des débats de 1831 qui définissent le statut d'une institution jugée insuffisamment représentative. La suppression de l'hérédité des pairs et leur choix, toujours à la charge du roi mais devant être opéré dans certaines catégories, mettent un terme à leur indépendance et inaugure une ère, pour la haute assemblée, de pratique parlementaire bien plus terne que celle connue par la précédente Chambre des pairs. La composition de celle-ci se fonde en effet, essentiellement, sur de hauts fonctionnaires et explique, en partie, le caractère bien plus réactionnaire des débats, à l'assemblée du Luxembourg. Néanmoins, dans les débats qui participent à la modification de cet organe une idée nouvelle est débattue : la défense des intérêts locaux. Si dans certains cahiers de doléances, en 1789, l'existence d'une institution, qui serait la voix des provinces est déjà mentionnée, la crainte d'une déviance fédérale rend illusoire une telle réalisation. En revanche, la Monarchie de Juillet voit l'émergence de revendications locales. La reconnaissance d'intérêts locaux ne se borne pas à souligner la relative incapacité des gouvernants nationaux pour certains domaines d'action, elle correspond à la mise en valeur d'une crainte de l'individualisme, telle que la souligne Alexis de Tocqueville. Dans ce contexte, un certain nombre de débats parlementaires, notamment celui 12 octobre 1831, et d'écrits politiques, au nombre desquels il faut compter ceux du marquis de la Gervaisais, invitent à prendre conscience de la « potentialité » d'une seconde chambre comme représentante des collectivités locales. Ce postulat, qui demeurera cantonné au champ des idées politiques, n'en est pas moins capital car il ne fait qu'annoncer l'une des facettes du Sénat de la Ve République.
The adequation between the Chamber of Peers and decentralization under the Monarchy of July
The Chamber of Peers, under the Monarchy of July, was of an original nature due to the compromise concerning it, during the discussions of 1831, which defined the status of an institution considered to be insufficiently representative. The suppression of the heredity of the peers and the manner in which they were chosen, still the responsibility of the king but having to be made within certain categories, put an end to their independence, and the high assembly entered a period of much more lackluster practice than the preceding Chamber had experienced. The composition of the latter was, in fact, based essentially on high-ranking officials and this partially explains the much more reactionary character of the debates in the Assembly of Luxemburg. Nevertheless, during the debates that contributed to the modification of this body a new idea was discussed: the defense of local interests. If in 1789 the existence of an institution which would be the voice of the provinces was mentioned in some "cahiers de doléances", the fear of a federal deviancy made such a creation an illusion. However, the Monarchy of July witnessed the emergence of local demands. The recognition of local interests was not limited to emphasizing the relative inability of national authorities in certain spheres of activity, but it corresponded to the highlighting of a fear of individualism, such as that pointed out by Alexis de Tocqueville. In this context, quite a few parliamentary debates, notably that of 12 October 1831, and political writings, among which should be included those of the Marquis de la Gervaisais, asked people to become aware of the potentiality of a second chamber which would represent local governments. This postulate, which was to remain confined to the realm of political ideas, was nonetheless of capital importance since it merely forecast one of the facets of the Senate of the Fifth Republic.
Jean Gay
Le régime municipal au XIXe siècle (de l'an VIII à 1884)
Après les incertitudes et la diversité du régime municipal, en France, avant 1789, puis les errements de l'époque révolutionnaire, le Consulat auquel succède vite l'Empire élabore une œuvre marquée par le désir d'uniformité sur tout le territoire national et par la définition de lois et règlements précis ; la tutelle est exercée par le souverain ou au nom de celui-ci ; les responsables locaux de chaque collectivité n'ont presque pas d'autonomie et souvent les droits patrimoniaux de chacune sont méconnus par l'État. La chute de l'Empire survient. Par fidélité au régime disparu ou par réaction contre l'autoritarisme napoléonien, deux grands mouvements de pensée politique se développent jusqu'à la loi de 1884. L'un préconise la centralisation, voie atténuée par la décentralisation au profit du préfet départemental, l'autre la décentralisation en conservant le préfet dont le rôle est très réduit. Dans cet esprit, les régimes politiques qui se succèdent de 1815 à 1884 légifèrent, réglementent et assez vite reconnaissent la personnalité civile à la commune. Ils doivent résoudre deux problèmes nouveaux, l'enseignement primaire et le désenclavement des campagnes. Suivant l'idéologie dont se réclame le régime, la composition du corps municipal, ses attributions oscillent entre des règles libérales et démocratiques et le maintien marqué de la tutelle gouvernementale qui pourtant s'ouvre au suffrage universel ; le contraste est particulièrement net en matière de finances, la fiscalité, les emprunts, le budget ; la loi de 1884 marque le terme de cette évolution démocratique. Dans la conclusion sont recherchées les expressions courantes entre 1815 et 1884, essentiellement dans le Centre-Est, des intrusions de l'État et du préfet dans la vie communale ; faute de nombreuses études locales soucieuses des conflits entre l'État (ou le préfet) et la collectivité locale, on ne peut citer que des incidents concernant la politique au village, des problèmes d'urbanisme et d'économie rurale.
The municipal system in the nineteenth century (from year VIII to 1884)
After the uncertainties and the diversity of the municipal system in France before 1789, then the erring ways of the revolutionary period, the Consulate, followed rapidly by the Empire, developed a system influenced by the desire of uniformity throughout the whole country and by the definition of precise laws and regulations; administrative authority was exercised by the sovereign or in his name; the officials of local communities had practically no autonomy and often the property rights of each were unrecognized by the State. The fall of the Empire came about. Through loyalty to the bygone system of government or through a reaction against Napoleonic authoritarianism, two great schools of political thought spread until the law of 1884. One advocated centralization, a method that was softened by decentralization to the advantage of the departmental prefect; the other advocated decentralization whilst conserving the prefect with a much reduced role. In this general attitude, the political regimes that followed one another from 1815 to 1884 passed legislation, regulations and they rather quickly recognized the civil personality of the commune. They had two new problems to solve: primary school education and making the country areas more accessible. Following the ideology from which the system claimed its inspiration, the composition of the municipal corps, its attributions wavered between liberal and democratic rules and the pronounced maintenance of governmental authority which did nevertheless open up to universal suffrage. The contrast was quite clear as regards finances, taxes, loans, and budget. The law of 1884 brought an end to this democratic development. The conclusion is an attempt to determine common expressions of the intrusions of the prefect in the life of the commune between 1815 and 1884, essentially in the Central-East region. Due to a lack of serious local studies on conflicts between the State (or the prefect) and the local government, only the incidents concerning politics within the locality, and problems of municipal planning and rural economy are mentioned.
Yves Le Roy et Marie-Bernadette Schoenenberger
La Constitution des États-Unis, une des sources de la Constitution fédérale suisse de 1848
Les différents aspects des notions de centralisation et de décentralisation concernent aussi bien les États unitaires que les États fédéraux. Dans ces derniers, elles s'appliquent à trois domaines : premièrement, au partage des compétences entre l'État central et les États locaux, deuxièmement, à la manière dont l'État central organise l'exercice de ses attributions et troisièmement, à la façon dont les États locaux assument leurs obligations. La création de ces multiples équilibres est des plus délicates. Les expériences des États-Unis et de la Suisse montrent que les solutions retenues sont le fruit d'un consensus de résignation sur une cascade de compromis. Ce fut en termes de centralisation que le canton de Thurgovie amorça le débat qui allait aboutir en 1848 à la transformation de la Confédération Helvétique en État fédéral. Lorsque la Diète dut passer à l'acte après la guerre du Sonderbund, tant les radicaux, partisans de la République une et indivisible modelée par la Révolution française, que les conservateurs attachés à une union lâche héritée du Moyen Âge, comprirent que leurs positions respectives n'avait aucune chance de s'imposer. Alors, faisant taire leurs convictions profondes, ils s'orientèrent vers une solution médiane permettant à la Suisse de résoudre dans de bonnes conditions les problèmes politiques et économiques auxquels elle était confrontée au milieu du xixe siècle. Ils furent grandement aidés dans cette voie par le précédent des États-Unis d'Amérique du Nord. Des similitudes entre la Confédération suisse vieille de plusieurs siècles et la toute jeune Union américaine les avaient fait qualifier de « Républiques sœurs » (Sisters Republics). Ces traits incitèrent des hommes politiques de poids, notamment James Fazy et Ignaz Paul Vital Troxler, à prôner le précédent américain de « la souveraineté partagée » comme document de travail. Ils furent suivis. Dans cette communication, on a retenu deux aspects de l'emprunt à la constitution américaine : l'un de structure, le bicamérisme de l'Assemblée fédérale, l'autre de compétence, les attributions économiques de l'État fédéral. La question économique était au cœur des problèmes qu'il fallait résoudre en 1848. Cet impératif a conféré une nature double à la Constitution fédérale suisse : elle est à la fois une constitution politique dont l'étude relève du droit constitutionnel, et une « constitution économique » dont l'analyse est du ressort de l'économie politique. Toutefois, les ressemblances entre les situations américaine et suisse avaient leurs limites et la Constitution fédérale suisse n'est pas du tout un décalque de la Constitution américaine de 1787. Elle opère une combinaison d'éléments « exotiques », d'institutions suisses traditionnelles et autres composantes qui lui confèrent une originalité très typée.
The Constitution of the United States, one of the sources of the Swiss Federal Constitution of 1848
The different aspects of the notions of centralization and decentralization concern unitary states as just as much as they do federal states. In the latter, they apply to three realms: first, to the separation of powers between the central government and the local governments, second, to the manner in which the central government organizes the implementation of its attributions and third, to the way in which the local governments assume their obligations. The creation of these multiple sorts of balance of powers is of a very delicate nature. The experiences of the United States and Switzerland show that the solutions adopted were the fruit of a consensus of resignation on a spate of compromises. It was in the terms of centralization that the canton of Thurgovie began the discussion that in 1848 was to end in the transformation of the Helvetian Confederation into a federal state. When the Diet had to act after the Sonderbund War, the radicals, advocates of a one and indivisible republic moulded by the French Revolution, as well as the conservatives attached to a loose union inherited from the Middle Ages, understood that their respective positions had no chance of dominating. So, keeping their deep convictions to themselves, they turned towards a middle ground that would provide the right conditions for Switzerland to solve the political and economic problems with which it was confronted in the nineteenth century. The precedent of the United States of America in this realm was of great help to them. It was due to the similarities between the Swiss Confederation dating back several centuries and the very young American Union that they were called "Sister Republics". These features prompted politicians who carried great weight, notably James Fazy and Ignax Paul Vital Troxler, to advocate the American precedent of "separation of powers" as a basis for their work. Their opinion was accepted. In this paper we shall examine two aspects of borrowings from the American constitution: on the one hand, structure: the bicameral nature of the Federal Assembly; and on the other, competence: the economic attributions of the federal government. Economic matters were at the heart of the problems that had to be solved in 1848. This requirement gave a double nature to the Swiss Federal Constitution: it is both a political constitution whose study comes under constitutional law and an "economic constitution," whose analysis falls within the scope of political economy. However, the resemblance between the American and Swiss situations was limited and the Swiss Federal Constitution is not at all a copy of the American Constitution of 1787. It implements a combination of "exotic" elements, of traditional Swiss institutions and of other components that endow it with a very pronounced originality.
Cédric Pignat
Un canton en lutte contre les autorités fédérales : la bataille du vin
En 1933, alors que la Suisse peine à maintenir son équilibre budgétaire, le Conseil fédéral prépare un programme financier en empruntant la voie extraordinaire de l'arrêté fédéral urgent. Le canton de Vaud s'émeut, craignant l'impôt sur les boissons qui menace les vins du pays. Lors des débats parlementaires, le röstigraben se creuse. Les Romands s'indignent de l'atteinte à la vigne. À défaut d'obtenir la suppression de l'impôt, ils parviennent à poser un double principe, épargnant les producteurs indigènes et réservant l'approbation de l'Assemblée fédérale pour l'arrêté qui l'instituera. Sensibles aux violations constitutionnelles de l'arrêté — que le Gouvernement justifie en invoquant l'état de nécessité —, la Ligue vaudoise et Ordre et Tradition tentent d'opposer à l'imposition litigieuse une initiative visant à interdire l'exécution de l'arrêté en terre vaudoise. Le parlement refuse de soumettre au peuple un texte qu'il estime contraire au droit fédéral. Les initiants déposent alors une pétition par laquelle ils demandent au Grand Conseil de faire valoir son droit d'initiative en adressant au Parlement fédéral une motion tendant à l'abrogation des articles relatifs à l'impôt. Le Grand Conseil adhère au principe, mais souhaite lui donner une portée plus large. Il envoie une résolution aux Chambres, acte sans portée juridique, mais d'une grande force politique. Bien que l'arrêté topique établisse un impôt sur les transactions, il apparaît bientôt qu'il frappe directement le producteur. L'équilibre financier de la Confédération n'est pas pour autant rétabli. En décembre 1935, le Gouvernement soumet un nouveau programme au Parlement, tandis que les viticulteurs vaudois réclament des mesures protectionnistes et organisent le refus d'acquittement de l'impôt. C'est finalement en novembre 1936 que le Conseil fédéral, à la suite d'une nouvelle entrevue avec la délégation vaudoise, renonce à maintenir l'impôt sur les vins du pays dans le prochain programme financier à condition que cesse la résistance vaudoise.
One canton's struggle against the federal authorities: the battle over wine
In 1933 while Switzerland was struggling to maintain a balanced budget, the Federal Council prepared a financial program by using the extraordinary means of the urgent federal order. The canton of Vaud was disturbed fearing the tax on beverages which threatened the country's wines. During the parliamentary debates, the röstigraben grew wider. The French-speaking Swiss became indignant over this attack on their vineyards. Failing to have the tax eliminated, they did succeed in establishing a double principle, saving local producers and reserving the approval by the Federal Assembly of the order that would institute it. Sensitive to the constitutional violations of the order — that the government justified by putting forward the state of necessity —, the Ligue vaudoise and Ordre et Tradition tried to oppose the contentious tax with an initiative whose aim was to prohibit the implementation of the order in the region of Vaud. The parliament refused to submit to the people a text that it deemed contrary to federal law. The initiators then filed a petition in which they asked the Grand Conseil to assert its right of initiative by addressing a motion aimed at abrogating the articles concerning the tax. The Grand Conseil admitted the principle but wished to give it wider implications. It sent a resolution to the Chambers, an act with no legal consequences but with great political impact. Although the pertinent order established a tax on transactions, it soon appeared to hit the producer directly. Despite this fact, a balanced financial situation was not reached. In December 1935 the government submitted a new program to the Parliament, while the vintners in the area of Vaud demanded protectionist measures, and organized the refusal to pay the tax. Finally, in November 1936 the Federal Council, following yet another meeting with the delegation from Vaud, abandoned the idea of maintaining the tax on the country's wines in the next fiscal budget, but only on the condition that the resistance from the area of Vaud cease.
Edwin Matutano
La communauté de travail du Jura : un exemple de coopération transfrontalière entre collectivités territoriales
La coopération transfrontalière entre collectivités territoriales présente un intérêt majeur au regard de la problématique posée par la décentralisation, car elle soulève, outre la question du règlement des affaires locales dans un cadre transnational, celle des capacités respectives de l'État et des collectivités territoriales dans l'ordre international. À l'heure où la décentralisation n'en était, en France, qu'à ses débuts, la communauté de travail du Jura, structure souple réunissant conventionnellement la région de la Franche-Comté et les cantons helvétiques de Vaud, de Neuchâtel, de Berne et du Jura, en a constitué un exemple intéressant. Il s'est agi d'une initiative remarquable dans le contexte institutionnel français, caractérisée par le centralisme et à cette époque encore, peu favorable à l'établissement de relations directes entre collectivités territoriales de droit national avec des collectivités relevant d'un ordre juridique étranger. Née de l'initiative du président du conseil régional de Franche-Comté de l'époque, la création de la communauté de travail du Jura a donné lieu, d'une part, à la conclusion d'un acte conventionnel conclu entre les collectivités française et suisses concernées et approuvé, en France, par un acte du ministre en charge des relations extérieures et d'autre part, à la signature d'un traité bilatéral franco-helvétique. Les réalisations concrètes de la communauté de travail dans de nombreux domaines (conciliation foncière, certificat d'aptitude professionnelle dans le domaine horloger, livre d'histoire de l'arc transjurassien), ont abouti à son prolongement par la communauté transjurassienne, d'emblée plus étroitement encadrée que sa devancière par les autorités de l'État. Par sa raison d'être et son champ d'application, la communauté de travail du Jura a, en définitive, préfiguré l'idée d'un véritable « pays » partagé entre les deux versants du massif du Jura.
The Jura work community: an example of trans-border cooperation among territorial collectivities
Trans-border cooperation among territorial collectivities is of major importance when considering the problem posed by decentralization, for it raises, in addition to the question of the management of local affairs in a trans-national framework, that of the respective capacities of the State and the territorial collectivities in the international order. At the time when decentralization was merely at its beginnings in France, the Jura work community, a flexible structure uniting in a contractual agreement the region of Franche-Comté and the Swiss cantons of Vaud, Neuchâtel, Berne, and the Jura, constituted an interesting example. It was a remarkable initiative in the French institutional context, characterized by centralism and, still at that time, not very favorable to the establishment of direct relations among territorial collectivities under French law and local governments under foreign law. Born thanks to the initiative of the then president of the regional council of Franche-Comté, the creation of the Jura work community gave rise, on the one hand, to a contractual act between the French regional government and the concerned Swiss regional governments and was approved in France by an act of the minister in charge of external relations; and, on the other hand, to the signature of a bilateral Franco-Swiss treaty. The concrete achievements of this work community in numerous realms (land conciliations, vocational training certificates in the field of watch-making, a history book on the trans-Jura arc), resulted in its extension to the trans-Jura community, which was straightaway more closely supervised by State authorities than its precursor. Through its raison d'être and its sphere of implementation, the Jura work community, in fact, foreshadowed the idea of a genuine "country" shared by both sides of the Jura mountain range.