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Tome 52 (1995) : résumés des articles

L. Masmejean

Droit romano-canonique dans l'article CXXXI du commentaire du Plaict général de Lausanne

Source capitale de l'histoire de la réception du droit romain en Suisse romande, le commentaire du Plaict général de Lausanne nous livre de précieux renseignements sur l'action de spoliation au xve siècle. Cette action est le pendant, en droit médiéval, de l'interdit unde vi romain. Elle est, à Lausanne comme dans le reste de l'Europe, un moyen de droit qui permet à celui qui a été privé de sa possession de la récupérer contre son spoliateur. À l'instar de l'interdit unde vi du droit romain et canonique, l'action de spoliation lausannoise protège la possession. Cette dernière n'est cependant pas comprise dans son sens romain, c'est-à-dire comme la maîtrise instantanée d'une chose, mais plutôt comme un état de fait durable dans lequel l'élément décisif est la publicité qu'elle confère. À cet égard, le délai d'an et jour, qui rappelle la saisine coutumière, joue à Lausanne un rôle décisif. Sous réserve de la définition de la possession protégée, l'action de spoliation lausannoise correspond en tous points à l'action de spoliation du droit savant. Elle répond ainsi au principe bien connu de ce droit, selon lequel nemo spoliatus sine cognitione. Elle protège la possession indépendamment du titre de cette dernière et des conditions dans lesquelles celle-ci a été acquise. Même le voleur peut agir en spoliation contre le propriétaire légitime, ce qui montre que les lausannois distinguaient bien déjà le possessoire du pétitoire. Complétée par un possessorium sumarissimum ou récréance, que le commentateur appelle manus apposito, l'action de spoliation lausannoise illustre les mécanismes de la réception du droit savant en pays de coutume : la technique romaine est reprise sans changement, mais elle est appliquée à des institutions ou à des concepts, comme la possession, qui sont en partie hérités du droit coutumier voire germanique.

Roman and Canon Law in article CXXXI of the Commentaire du Plaict général de Lausanne

An important source in the history of the acceptante of Roman Law in French-speaking Switzerland, the Commentaire du Plaict général de Lausanne gives us invaluable information on the action of despoilment during the fifteenth century. This action is the counterpart in medieval law of the forbidden Roman unde vi. In Lausanne as in the rest of Europe, it is a legal means which enables someone who has been deprived of a possession to recover it from his despoiler. Following the example of the forbidden unde vi in Roman and Canon Law, the action of despoilment in Lausanne protects the possession, which is not, however, understood in the Roman sense of the term, i.e. as the instantaneous control of an object, but rather as a durable established fact in which the decisive element is the publicity that it confers. In this respect, the period of one year and one day, which brings to mind cases under customary law, plays a decisive role in Lausanne. Subject to the definition of the protected possession, the action of despoilment in Lausanne corresponds in all ways to the action of despoilment in scholarly law. It thus meets the requirements of the well known principle of this law, according to which nemo spoliatus sine congitione. It protects the possession regardless of the possessor of the object and the conditions under which it was acquired. Even the thief can take action against the legitimate owner in despoilment, which shows that the inhabitants of Lausanne already made a clear distinction between possessoire and pétitoire. Completed by a possessorium sumarissimum or récréance that the commentator calls manus apposito, the action of despoilment in Lausanne illustrates the mechanisms of the acceptance of scholarly law in a country of customary law: the Roman technique is used without change, but it is applied to the institutions or concepts, such as ownership, which are partly inherited from customary or even Germanic law.

D. Morerod et D. Tappy

L'introduction des statuts de Savoie de 1430 dans quelques régions romandes. À propos d'un acte inédit

Bien qu'ils réservent expressément les franchises et coutumes locales, les Statuts de Savoie de 1430 se sont heurtés à une vive résistance au pays de Vaud, terre coutumière au sein de domaines savoyards en principe de droit écrit, et leur application y est restée partielle et limitée. En revanche, ces statuts semblent s'être appliqués jusqu'au xvie siècle dans les parties actuellement suisses du bailliage savoyard du Chablais (soit le Bas-Valais, l'Est vaudois et quelques communes genevoises), à l'exception de Vevey, qui bénéficiait du même statut juridique que le pays de Vaud proprement dit. Amédée VIII obtiendra même de l'évêque de Genève qu'il reçoive les Statuts de Savoie de 1430, avec quelques adaptations mineures, dans sa principauté épiscopale, pourtant théoriquement indépendante de la Savoie.

The introduction of the Statutes of Savoy of 1430, into a few regions of Frenchspeaking Switzerland; Regarding a previously unknown legal document

Altrough they expressly reserve franchises and local customs, the Statutes of Savoy of 1430 met with strong resistence from the Vaud area, a land of customary law within Savoy, in theory a region of statute law, and their implementation remained partial and limited. However, these statutes seem to have been enforced until the sixteenth century in the present-day Swiss areas of the bailliwick Savoyard of Chablais (that is to say the Bas-Valais, the eastern Vaudois and a few Genevan parishes) with the exception of Vevey, which was under the same judicial statutes as the Vaud region itself. Amédéé VIII would even manage to have the bishop of Geneva receive the Satutes of Savoy of 1430, with a few minor adaptations, in his espiscopal principality, although it was theoretically independent from Savoy.

M. Pena

Des libéralités accordées aux bâtards en ancien droit français

Dans la deuxième moitié du xviiie siècle on pouvait encore affirmer : « ..., la procréation des enfants hors mariage est odieuse, elle est contraire au vœu de la religion et des lois, on ne la favorise presque jamais pour ne point donner d'attrait ni de progrès à la fornication et à la débauche ». Ces termes sont révélateurs de la manière dont on appréhendait en ancien droit français la condition juridique de l'enfant né hors mariage que nous appelons aujourd'hui enfant naturel et que l'on nommait « bâtard ». Dans la société celui-ci est un être inférieur frappé de nombreuses incapacités, il est juridiquement un « isolé ». La conséquence est qu'il est hors de la famille, incapable de succéder avec l'un quelconque de ses membres. Cependant, s'il y a affirmation de la primauté des liens de droit à l'intérieur de la famille, il y a aussi « un état de fait » qui fait qu'avoir un bâtard est chose différente voire opposée à celle d'être bâtard. Outre l'établissement de la filiation, les parents pouvaient éventuellement accorder des libéralités à leurs enfants naturels malgré ou à cause de la prohibition de principe. Dès le xive siècle, les libéralités faites aux bâtards sont extrêment nombreuses. Il ne s'agit pas seulement de dispositions ad alimenta mais de dons dont l'importance dépasse le montant nécessaire à l'accomplissement de l'obligation alimentaire du de cujus. Le phénomène va s'accentuer au cours des siècles suivants en relation avec la montée des fortunes. La doctrine comme la jurisprudence ont alors réagi en fonction de la qualité des bâtards, en reprenant la distinction traditionnelle entre enfants naturels simples et enfants adultérins ou incestueux, et en fonction de la nature de la libéralité, dispositions universelles ou dispositions à titre particulier. Ainsi, si donations entre vifs et legs testamentaires trouvent une place égale dans le « dispositif parental » et ne rencontraient en doctrine aucune hostilité de principe, les parlements appréciaient librement les limites de ce droit de disposer.

Liberalities granted to bastards in ancient French law

In the second half of the eighteenth century it could still be asserted : "procreation of children out of wedlock is unbearable ; it is contrary to the principles of religion and law, it can hardly ever be encouraged so as not give appeal to or further the progression of fornication and debauchery". These terms reveal the manner in which ancient French law apprehended the legal condition of the child born out of wedlock, who nowadays is referred to as a "natural child" and who used to be called a "bastard". In society he is an inferior being upon whom are imposed numerous incapacities, he is legally "isolated". As a consequence, he is not a part of the family and is thus unable to inherit from any of its members. However, if there is an assertion of primacy of legal ties within the family, there is also an "irrefutable fact" which makes having a bastard completely different from, even opposite to, being a bastard. Besides the establishment of direct descendants, parents could possibly grant liberalities to their natural children in spite of or because of this ban for the sake of principle. As early as the fourteenth century liberalities granted to bastards are extremely numerous. Not only do they concern ad alimenta measures but also gifts whose size exceeds the sum necessary to fulfill the maintenance obligation of de cujus. This phenomenon is to become more pronounced during the course of the following centuries in direct relation to the improvement of financial situations. Doctrine as well as judicial precedent thus reacted according to the quality of the bastards, by going back to the traditional distinction between ordinary natural children and children born of adultery or incest, and according to the nature of the liberality, universal provisions and provisions for special cases. Thus, if donations inter vivos and bequeathals find an equal position in parental provisions and, in doctrine, met with no theoretical hostility, parliaments freely set the limits of the right to dispose of one's estate.

M. Petitjean

Remarques sur les substitutions dans le droit bourguignon récent (XVIe-XVIIIe siècles)

Méconnues par la coutume, mais reçues par la pratique bourguignonne, les substitutions ont bénéficié du soin attentif de la doctrine de la jurisprudence. Les règles et les décisions élaborées et rendues en cette matière par les auteurs et les tribunaux sont originales, empreintes de sagesse et de tolérance, d'avant garde quelquefois, mais très souvent conformes à l'opinion commune et largement confirmées par l'ordonnance de 1747.

Remarks on the substitutions in recent Burgundian law (sixteenth to eighteenth centuries)

Unknown to customary law, but existing in Burgundian practice, substitutions received careful attention in the doctrines of jurisprudence. The rules and court orders worked out and rendered in this realm by the authors and courts are original, marked with wisdom and tolerance, even sometimes avant-garde, yet very often keeping with commonly held opinion and widely confirmed by the ruling of 1747.

J. Dumoulin

Finances publiques et libre charité municipale : L'exemple de la ville d'Aix-en-Provence au XVIIe siècle

Au xviie siècle, les communautés d'habitants ont l'obligation de porter assistance aux pauvres qui se trouvent sur leur territoire. La ville d'Aix-en-Provence respecte ses obligations en accordant des aumônes aux pauvres et aux communautés religieuses. Les premiers, qu'ils soient Aixois ou de passage, reçoivent du pain, de l'argent, des soins selon que les intempéries ou la peste rendent leur survie problématique. Quant aux communautés religieuses, sur leur demande, elles perçoivent de l'argent ou quelques biens qui leur permettent de remplir leur devoir de charité et d'améliorer leur vie quotidienne. Dans les deux cas, les dirigeants ont pour volonté d'apporter un certain soulagement mais, avec les pauvres, les élus exercent une surveillance indispensable, l'aumône contribuant alors au maintien de la paix sociale avec les communautés religieuses qui n'inquiètent pas la population, l'aumône est le signe d'une volonté d'améliorer la vie de personnes qui se consacrent à la charité et à la prière. Cette libre charité municipale tient une certaine place dans le budget de la communauté, avec une évolution inévitable au fil des ans qui traduit le glissement vers la charité institutionnelle. De plus, à la fin du xviie siècle, la mise en tutelle financière des communautés, par son interdiction de recourir à l'emprunt, entraîne une diminution des aumônes distribuées aux pauvres. Dans tous les cas, les « groupements d'affidés », sont incapables d'élaborer une politique. Portés par les événements, ils sont dépourvus de tout sens politique.

Public finances and free municipal charity : the example of the city of Aix-en-Provence in the seventeenth century

In the seventeenth century communities are under the obligation to help the poor within the limits of their territory. The city of Aix-en-Provence respects these obligations by granting alms to the poor as well as to religious communities. The former, whether they be citizens of Aix or just passing through, receive bread, money and care depending on how problematic their survival has been made due to bad weather or the plague. As regards religious communities, upon request they receive money or goods which allow them to carry out their charitable duty and to improve their daily conditions. In both cases the city officials have the desire to provide some relief, but concerning the poor, they exercise a necessary control, alms thus contributing to the prevention of social unrest ; concerning the religious communities who are not a worry to the general public, the giving of alms is the sign of the will to improve the life of people who are devoted to charity and to prayer. This free municipal charity takes a certain part of the city budget, with the inevitable evolution in time towards institutional charity. In addition, at the end of the seventeenth century, the financial supervision imposed upon communities through the ban on borrowing money brings about a reduction in the alms distributed to the poor. In any case, the "band of henchmen" are unable to develop a policy. Carried along by the turn of events, they are devoid of any political sense.

G. Trimaille

L'asile public d'aliénés de Dijon au milieu du XIXe siècle

La loi du 30 juin 1838 est à l'origine de la création des asiles départementaux d'aliénés. L'application de cette loi et les modifications du paysage hospitalier qui en résultent sont examinées ici dans le cadre départemental de la Côte-d'Or. Les pratiques médicales au sein de l'asile dijonnais de La Chartreuse, ouvert en janvier 1843, révèlent des difficultés matérielles communes à la plupart des asiles français de cette époque. Ces difficultés, qui peuvent être attribuées à la fois à l'insuffisance des locaux face au flot des demandes d'hospitalisation, et à la relative inefficacité des moyens thérapeutiques dont dispose le milieu aliéniste français du xixe siècle, orientent indubitablement les interprétations juridiques et les applications médicales de la loi du 30 juin 1838. On peut constater que l'asile dijonnais ne pratique pas un internement massif et indifférencié. Au contraire de la vulgate (trop) largement répandue autour des pratiques psychiatriques du xixe siècle, l'asile de la Chartreuse tend à développer un internement sélectif, voire discriminatoire. Les dispositifs d'accueil élaborés et précisés par les autorités administratives et médicales bourguignonnes trouvent leurs origines dans de prétendues et nébuleuses interprétations juridiques — dont les fondements textuels sont, sinon totalement absents, du moins fortement défectueux — et dans des justifications médicales particulièrement fragiles, pour ne pas dire défaillantes.

Public insane asylums in Dijon in the mid nineteenth century

The law of June 30, 1838 was the origin of the creation of departmental insane asylums. The implementation of the law and the resulting modifications of the hospital scene have been examined here within the framework of the department of the Côte-d'Or. The medical practices of Dijon's asylum, La Chartreuse, opened in 1843, reveal the material problems common to most of the French asylums of this period. These problems, which can be attributed both to insufficient facilities in relation to the number of requests for admission to the hospital and also to the relative inefficiency of therapeutic methods available to French insane asylums of the nineteenth century, undoubtedly orient the judicial interpretations and medical applications of the law of June 30, 1838. It is interesting to note that the insane asylum in Dijon does not practice massive and undifferentiated internment. Contrary to the too widely-accepted psychiatric practices of the nineteenth century, the asylum of La Chartreuse tends to develop selective, even discriminatory, internment. The acceptance policies which were set forth and clarified by the administrative and medical authorities in Burgundy find their origins in the alleged, nebulous judicial interpretations — whose textual foundations are, if not totally absent, at least very shaky — and in the particularly fragile, or even faulty, medical justification.

F. Fortunet

L'Hôtel-Dieu du Creusot : un hôpital général privé centenaire

En 1897, la fondation de l'Hôtel-Dieu du Creusot est, par excellence, un acte de charité du patronat industriel local. C'est un véritable monument qui, cinquante ans après l'installation des Schneider à l'usine et dans la ville, représente le couronnement de leur système de paternalisme ; constituant par ailleurs le modèle d'un système de santé où s'allient politique sanitaire, politique hospitalière et protection sociale, offert à toute la population locale. Après une première réorganisation administrative rendue nécessaire avec la création des assurances sociales en 1928, c'est la généralisation du système public hospitalier aux lendemains de la seconde guerre mondiale qui va en menacer les fondements même. Il ne peut être question de remettre en cause la volonté originelle de la dynastie aujourd'hui disparue et le statut de fondation doit permettre d'allier le respect de la tradition sociale et les contraintes du progrès scientifique et médical.

L'Hôtel-Dieu in Le Creusot: a hundred-year-old private general hospital

In 1897, the foundation of l'Hôtel-Dieu in Le Creusot is an act of charity par excellence by the local industrial employers. It is a true monument which, fifty years after the installation of the Schneider family in the factory and in the town, represents the crowning achievement of their paternalistic system ; moreover, it forms a model health care system, uniting health policy, hospital policy and social welfare, made available to the entire local population. After a first administrative reorganization, necessary due to the creation of health care insurance in 1928, the generalization of the public hospital system right after World War ii is to threaten its very foundation. There can be no questioning the original intentions of the bygone dynasty, and the statutes should permit a combining of the respect of social tradition and the limitations of scientific and medical progress.