Société pour l'Histoire du Droit et des institutions des anciens pays bourguignons, comtois et romands
Tome 50 (1993) : résumés des articles
- Maria Hillebrant : Les cartulaires de l'abbaye de Cluny
- Nicole Gonthier : La violence judiciaire à Dijon à la fin du Moyen Âge
- Jean-François Poudret : L'enlèvement des filles de Villaz près Romont (1517), rapt de violence ou de séduction ?
- Jean-Jacques Clère : La vaine pâture en France sous l'Ancien Régime. Essai de géographie coutumière
- Jacqueline Dumoulin : La procédure électorale en Provence au XVIIe siècle
- Éric Wenzel : Les prêtres « criminels » en Bourgogne à la fin de l'Ancien Régime (1675-1790)
- Michel Petitjean : Un conflit au sein de la communauté des notaires dijonnais, à propos d'un projet d'association générale de travail
- Jean Gay : La capacité de la femme mariée en France en droit intermédiaire. Projets de codification, pratique, jurisprudence
- Chantal Dauvergne : La Terreur Blanche à Dijon : le procès Veaux, Lejeas, Hernoux et Royer (août 1816)
- Pierre Bodineau : En marge de l'Exposition Universelle : l'Exposition de Dijon de 1858. Un grand moment d'ambition régionale
Maria Hillebrant
Les cartulaires de l'abbaye de Cluny
Un grand nombre d'actes concernant l'abbaye de Cluny subsiste en copie dans les cartulaires. Pour la période du xie au xive siècle, en tout six cartulaires nous sont parvenus. L'auteur propose dans une étude comparative des trois plus anciens cartulaires des réflexions sur leur structure, le classement des actes et les intentions des confectionneurs des cartulaires.
The cartularies of the abbaye of Cluny
A great number of charters concerning the abbey of Cluny has been preserved in copies in cartularies. We know six cartularies for the period from the llth to the 14th century. The author discusses in a comparative study of the three oldest cartularies questions concerning their inner structure, the classification of the charters, and possible intentions behind it.
Nicole Gonthier
La violence judiciaire à Dijon à la fin du Moyen Âge
La procédure appliquée par la justice échevinale ou ducale inclut plusieurs étapes où la plus âpre violence va s'exprimer. La brutalité des sergents lors des arrestations, le dur traitement réservé aux détenus par des geôliers avares et querelleurs, les pressions imposées au cours de l'instruction en offrent les premières manifestations. Plusieurs documents révèlent la cruauté de la géhenne, enfin le temps des supplices déploie au grand jour la violence démonstrative, par le truchement des piloris, des échafauds et des fourches, pour des exécutions dont le déroulement est confié aux bourreaux, eux-mêmes familiers des tortures et du sang.
Judicial violence in Dijon at the end of the Middle Ages
The proceedings in use in the aldermen's court and the ducal court included several stages during which the harshest violence was to be expressed. The brutality of the police officers during arrests, the rigorous treatment of prisoners by miserly and quarrelsome gaolers, and the pressure exerted during the preliminary enquiry were only the first signs. Several documents reveal the cruelty of the torture imposed. Finally, when the time for punishment came, violence was demonstrated through pillories, scaffolds, and gallows used for executions entrusted to headsmen, ail too familiar with torture and blood.
Jean-François Poudret
L'enlèvement des filles de Villaz près Romont (1517), rapt de violence ou de séduction ?
L'enlèvement, en mai 1517, de deux jeunes filles de la châtellenie vaudoise de Romont par des ravisseurs qui trouveront refuge à Lausanne provoque non seulement une vive tension politique entre les Lausannois et les États de Vaud, qui faillit dégénérer en un conflit armé, mais également une procédure jusqu'ici inédite devant le bailli de Lausanne entre les tuteurs des jeunes filles et les ravisseurs. L'auteur analyse tout d'abord et publie en annexe ce procès, qui libère les défendeurs de l'accusation de brigandage (latrocinium), au motif que celui-ci ne peut porter que sur des meubles ou animaux, et non des personnes, argument qui évoque aussitôt la distinction des canonistes entre rapina et raptus. À la suite de cet échec judiciaire, les États de Vaud adoptent en hâte un statut réprimant l'enlèvement des jeunes filles pour les épouser contre la volonté de leurs parents. Ils entendent donc imposer le consentement parental au mariage et non sauvegarder la liberté des ravies. Cette réglementation se distance nettement de la définition canonique médiévale du rapt. Elle préfigure à la fois celle qui sera introduite vingt ans plus tard par la Réforme et l'évolution qui conduira en France, un siècle plus tard, à réprimer le rapt de séduction, présumé dès lors que les parents n'ont pas consenti. Cet incident local est ainsi l'occasion d'évoquer ces problèmes sur un plan plus général, révélateur de l'évolution des mentalités.
The kidnapping of girls from Villaz (near Ramont) in 1517, an abduction with violence or seduction as its principal aim?
The abduction in May 1517 of two young girls from the Vaudois manor of Ramont by kidnappers who took refuge in Lausanne, provoked not only great political tension between the inhabitants of Lausanne and the States of Vaud, which almost degenerated into armed conflict, but also a novel judicial procedure before the bailiff of Lausanne between the guardians of the young girls and the kidnappers. The author analyses the proceedings (published in the annex) which cleared the defendants of the charge of robbery (latrocinium) on the grounds that it could only concern furniture or animals and not people, an argument which immediately brings to mind the canonists' distinction between rapina and raptus. Following the loss of the legal procedure, the States of Vaud quickly passed a statute punishing the abduction of young girls in view of marriage without the consent of their parents. They thus intended to impose parental consent to marriage and not to protect the freedom of the abducted. This measure was a far cry from the medieval canonical definition of kidnapping. It prefigures both the one which was to be introduced twenty years later during the Reformation and the development a century later in France which would lead to the punishment of kidnapping in view of seduction, which was presumed so long as the parents had not given their consent. This local incident thus provides the opportunity to evoke these problems on a more general level, which reveals the evolution of people's mentalities.
Jean-Jacques Clère
La vaine pâture en France sous l'Ancien Régime. Essai de géographie coutumière
La question des clôtures, dans la France d'ancien régime est souvent analysée dans la perspective d'une révolution agricole promue par le pouvoir politique, au sein duquel les physiocrates auraient eu une place prépondérante à partir de la seconde moitié du xviiie siècle. Le problème est en réalité plus complexe. Sans nier aucunement l'impulsion politique qui s'est manifestée sous le règne de Louis XV, il apparaît premièrement que la vaine pâture a toujours subi plus de restrictions que la plupart des historiens n'en admettent généralement et surtout deuxièmement que l'herbe -ou la vaine pâture sur les près- a toujours occupé une place à part et que bien avant les célèbres édits de clôture, il était déjà possible au propriétaire de soustraire ses fonds à la dent du bétail.
Common Grazing Land
The question of fences in the France of the Ancien Régime is often analyzed in the perspective of an agricultural revolution promoted by the political power in which physiocrats were reported to have occupied a predominant position after the middle of the eighteenth century. Without in the least denying the political impetus manifested under Louis XV, it seems, firstly, that common grazing land has always been subject to more restrictions than most historians would generally admit and above all, secondly, that grass -or the common grazing land on the meadows- has always occupied a special place and that well before the famous fencing edicts, it was already possible for the owner to keep cattle from eating the grass on his property.
Jacqueline Dumoulin
La procédure électorale en Provence au XVIIe siècle
Au xviie siècle, les communautés provençales rédigent librement leurs statuts municipaux prévoyant notamment les règles de procédure électorale, lesquelles ont en commun nombre, diversité et précision, mais aussi enracinement dans le droit et la coutume antérieurs. Cependant, inscription dans le passé ne signifie pas blocage de l'évolution, bien au contraire. Dans la mesure où les provençaux répugnent à envisager de nouvelles règles, pour protéger des élections constamment menacées par les brigueurs, ils adaptent régulièrement les mesures existantes. Effort certes louable, mais relativement inutile dans la mesure où brigues, cabales et monopoles se perfectionnent, l'objectif étant la confiscation du pouvoir municipal au profit d'un groupe d'affidés.
The electoral procedure in Provence during the eighteenth century
During the eighteenth century Provençal communities were free to draw up their municipal statutes making provision for, among other things, electoral procedure rules, which not only had in common the fact that they were numerous, diversified and precise but also that they were deeply rooted in the earlier laws and customs. However, keeping with the past did not mean that progress had come to a standstill, on the contrary. In so far as the inhabitants of Provence were reluctant to adopt new rules to protect elections which were continuously being threatened by manipulators, they regularly adapted the already existing measures. This was certainly a praiseworthy effort, but relatively useless in as much as intrigues, plots and monopolies kept improving, their objective being the confiscation of municipal power by a group of connivers.
Éric Wenzel
Les prêtres « criminels » en Bourgogne à la fin de l'Ancien Régime (1675-1790)
Trente-sept affaires (mœurs, vols, malversations, ivrogneries, injures, coups et blessures) mettant en cause des prêtres bourguignons ont été relevées dans la série G des Archives de la Côte d'Or pour le dernier siècle de l'Ancien Régime. Cette « criminalité » du clergé paroissial pourrait s'expliquer par le développement tardif de l'appareil éducatif et sa régression, ce qui remettrait en question l'idée d'un clergé bien formé au xviiie siècle.
"Criminal" Priests in Burgundy at the end of the Ancien Régime (1675-1790)
Thirty-seven cases (vice, misappropriation of funds, drunkenness, insult, assault and battery) implicating priests in Burgundy were discovered in the G series of the Public Records Office of Cote d'Or during the last century of the Ancien Régime. This "criminality" of the parish clergy could be explained by the late development of the educational system and its decline, which would seemingly cast a doubt on the idea of a well-trained eighteenth-century clergy.
Michel Petitjean
Un conflit au sein de la communauté des notaires dijonnais, à propos d'un projet d'association générale de travail
La communauté des notaires dijonnais a eu comme principal objectif, tout au long de son existence, l'établissement d'une bourse commune pour l'acquittement des dettes provoquées par les créations d'offices voulues par la royauté au cours des xviie et xviiie siècles. C'est dans cette perspective que s'inscrit ce conflit qui opposa le notaire Antoine Bouché à toute la communauté qui fit bloc contre lui.
A conflict within the community of "notaires" (solicitors) in Dijon concerning a plan for professional collaboration
The community of notaires in Dijon had as its main objective, since its very beginning, the establishment of a common account to settle the debts caused by the creations of offices desired by the royalty throughout the seventeenth and eighteenth centuries. It is within this framework that the notaire Antoine Bouché confronted the whole community which stood united against him.
Jean Gay
La capacité de la femme mariée en France en droit intermédiaire. Projets de codification, pratique, jurisprudence
Les transformations institutionnelles survenues en France après l'été 1789 vont elles entraîner, dans le statut du couple conjugal, des modifications marquées par l'homogénéité du droit national et par l'égalité des deux conjoints ? La question était difficile à résoudre, tant l'ancienne France avait fait siennes la diversité des coutumes et la primauté du mari face à son épouse. Pourtant, avec un succès inégal, une fois la République proclamée, le législateur va s'efforcer de donner des solutions en harmonie avec la nouvelle idéologie. Son œuvre, lacunaire trop souvent, restera à l'état de projet ; mais les quatre rédactions successives consacrent la formation de règles communes à tous les habitants du Pays, en leur laissant la possibilité d'introduire des clauses particulières. Au contraire, le principe d'égalité, d'abord proclamé, est de plus en plus écarté et les constructions de la Coutume de Paris servent davantage de modèle pour organiser la société conjugale et définir la puissance maritale. Cette évolution que le droit positif ne consacre pour ainsi dire pas, ne laisse pas indifférentes la jurisprudence et la pratique, tandis que la Doctrine se tait. La jurisprudence élabore des solutions ponctuelles favorables à la puissance maritale et à la protection des intérêts de la femme. Quant à la pratique notariale, elle demeure fidèle, sauf à prendre quelques précautions de style, aux leçons du droit en vigueur avant 1789.
The capacity of the married woman in France in intermediate (revolutionary) law (1789-1804) ; Plans for codification, practice, and jurisprudence
Were the institutional transformations which took place after the summer of 1789 to bring about in the statute of the married couple modifications marked by the homogeneity of national law as well as the equality of both spouses? The problem was difficult to solve, since the France of former times had adopted the diversity of the customs and the primacy of the husband over his wife. However, once the Republic had been proclaimed, the legislator endeavored, with mitigated success, to provide solutions in harmony with the new ideology. His work, too often incomplete, was not to go further than the drawing board ; but the four successive draftings were devoted to the setting up of rules common to ail the inhabitants of the country, allowing them the possibility of inserting particular clauses. On the contrary, the principle of equality which had at first been proclaimed, was put acide more and more often and the development of the Coutume de Paris was to serve increasingly as a model to organize married life and to define marital authority. This advancement that contemporary law was so to speak not able to establish through use, did not leave jurisprudence and practice indifferent, whereas Doctrine said nothing about it. The law elaborated solutions, limited to certain situations, which were favorable to marital authority and the interests of the wife. However, the practices of the notaire (solicitor) remained faithful to the law in force before 1789, with the exception of a few precautions in style.
Chantal Dauvergne
La Terreur Blanche à Dijon : le procès Veaux, Lejeas, Hernoux et Royer (août 1816)
Le 19 août 1816 s'ouvre devant la cour d'assises de Dijon le procès de quatre bonapartistes célèbres, ils sont accusés de s'être rendus complices de l'attentat commis dans le mois de mars 1815 ayant pour but de changer et détruire le gouvernement légitime. En acceptant ou en conservant des postes importants, ils ont mis le département de la Côte-d'Or au service de l'empereur : le général Veaux a reçu de Napoléon le commandement de la XVIIIe division militaire, Étienne Hernoux a été nommé maire de Dijon par le maréchal Ney, Pierre Royer a remplacé le préfet et Jean-Louis Lejeas est demeuré receveur général des finances. Le procureur général Riambourg décide seul de les faire arrêter, alors que le ministre est partisan de l'oubli. Les jurés infligent au procureur général un cinglant camouflet en acquittant les quatre accusés.
The white terror in Dijon: the Veaux, Lejeas, Hernoux and Royer trial (August 1816).
On August 19, 1816 the trial of four notorious Bonapartists opened before the Court of Assizes in Dijon. They were indicted for being accomplices in the conspiracy perpetrated in March 1815 whose aim was to overthrow the legitimate government. By accepting or by maintaining key appointments, they put the department of Côte d'Or at the disposal of the Emperor. General Veaux received the command of the eighteenth military division from Napoléon ; Etienne Hernoux was appointed mayor of Dijon by Marshal Ney ; Pierre Royer replaced the prefect ; and Jean-Louis Lejeas remained chief finance officer. Public prosecutor Riambourg made the decision on his own to have them arrested, whereas the minister would have preferred to forget the affair. The members of the jury disowned Riambourg by acquitting the four Bonapartists.
Pierre Bodineau
En marge de l'Exposition Universelle : l'Exposition de Dijon de 1858. Un grand moment d'ambition régionale
En 1858, trois ans après l'Exposition Universelle de Paris, Dijon et la Côte d'Or organisèrent à leur tour une Exposition « universelle » qui reçut en deux mois près de 120 000 visiteurs et attira sur la Bourgogne l'intérêt des journalistes parisiens. Ce fut une réussite remarquable qui avait su mobiliser l'ensemble des institutions et des Dijonnais ; mais elle fut sans lendemain malgré son bilan financier positif et les échos favorables de la grande presse.
A peripheral activity of the World Fair: the 1858 Fair of Dijon, a great moment of regional ambition
In 1858, three years after the World Fair in Paris, Dijon and the Côte d'Or in turn organised a "world" fair which in two months welcomed 120 000 visitors and drew the attention of Parisian journalists. It was an outstanding achievement which had successfully mobilised the whole of the institutions and residents of Dijon; but it was short-lived in spite of its positive financial results and the favorable write-ups in the national press.